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BARBARA LAAGE




Le 30 Juillet 1920, la petite Claire Colombat vient au monde à Menthon Saint Bernard, un petite bourgade coincée entre le lac d’Annecy d’un côté et les 1824 mètres d’altitude des "dents de Lanfon" de l’autre. Rien alors, je le suppose, ne destinait la petite Claire a devenir l’actrice ayant la carrière la plus hétéroclite et la plus étrange de tout le cinéma français.

On retrouve la jeune Claire à Paris, en 1942, en pleine occupation. Figurante dans le film de Christian Chamborant « Signé Illisible » avec la belle actrice de théâtre Gaby Sylvia et le vétéran André Luguet en vedettes. Claire était montée à Paris étudier l’art dramatique lorsque l’invasion allemande l’avait surprise.

C'est la seule opportunité, très fugace il est vrai, de pouvoir apprécier les 20 ans de celle qui se fera bientôt appeler Barbara Laage à l’écran. La jeune fille semble n’attendre qu’une seule chose: la fin de la guerre. La levée de l’embargo hitlérien et la possibilité de quitter la France pour l’Amérique. Son rêve ce n’est pas Boulogne Billancourt. C’est Hollywood.


Et quand la guerre finit enfin et qu’elle peut prendre le large, la « petite française » est à la mode en Amérique. C’est véritablement le « goût du jour » Corinne Calvet, Denise Darcel et Nicole Maurey ne seront pas les dernières à en profiter. Et si les portes de la cité du cinéma s’ouvrent surtout avec le sésame de la beauté sublime, Barbara n’a rien à craindre de ce côté là. Elle pourrait tout à fait reprendre à la fois le sceptre et le fond de commerce d’actrices telles que Veronica Lake, Lauren Bacall ou Lizabeth Scott.

Mais la période hollywoodienne pour Barbara va être bien étrange. Elle a fait la rencontre d’Orson Welles qui prépare alors sa « Dame de Shanghai ». Lorsqu’il rencontre Barbara, il voit en elle son héroïne selon son idéal. Il lui offre le rôle et souhaite que ce soient là ses débuts à l’écran. Souffrant du complexe de Pygmalion, il souhaite l’avoir « découverte ». Quand on est une petite française inconnue et qu’un génie du cinéma vous demande une petite faveur pour faire de vous une star en un film, on accepte. Et puis de toute façon, qui oserait dire « non » à Orson Welles?

La réponse a cette question n’est pas Barbara Laage mais…Les banquiers. Comme toujours, Orson Welles peine à faire produire son film. Les négociations s’éternisent, Barbara Laage se produira dans un tour de chant pour subsister en attendant que les capitaux se débloquent pour « La Dame de Shanghai ».

Mais producteurs et banquiers ignorent complètement qui est Barbara Laage. A juste titre d’ailleurs, elle n’a jamais rien tourné. Par contre ils ne sont pas sans ignorer qu’Orson Welles est le mari de la superstar Rita Hayworth. La première « money maker » du studio Columbia. Avec Rita dans le rôle les capitaux se débloqueront sans limite et immédiatement. Orson cède. A contrecœur.



Si Orson Welles aime encore sincèrement Rita Hayworth bien qu’il la trompe déjà avec Judy Garland, il ne lui a jamais accordé aucun crédit en tant qu’actrice. Déjà lorsqu’il se produisait sur scène dans un numéro de « femme coupée en deux », il s’était débrouillé pour se débarrasser d’elle et faire son numéro avec sa bonne copine Marlène Dietrich. Il aura d’ailleurs toujours une faiblesse pour les actrices étrangères et outre Marlène qui est allemande, il aura grand plaisir à faire tourner Suzanne Cloutier la canadienne et Jeanne Moreau la française.

Barbara pourra se consoler avec un second rôle dans un film de Barbara Stanwyck « B.F.’ s Daughter » sans doute obtenu sur l’insistance d’Orson Welles en remerciement de la patience dont elle avait fait preuve. On avait entre aperçu Barbara au cinéma en 1942, on la revoit en 1948, il faudra attendre 1951 pour la retrouver, en France.

Le public la découvre enfin, près de dix ans après qu’elle ait fait ses débuts.  Dix ans durant lesquels elle n’a, objectivement tourné qu’une seule fois. Ne comptons pas la figuration de « Signé Illisible ».

Elle est  de la distribution de « La Rose Rouge ». Cabaret parisien alors fort à la mode dont le directeur est le mari de la jeune Anouk Aimée et où Annie Girardot a fait ses débuts. Sorte de comédie musicale très rive gauche, Barbara se retrouve photographe entre le porte cigarettes de Dora Doll et les collants des frères Jacques. Même si elle est d’une beauté proprement scandaleuse, elle a 31 ans et « La Rose Rouge » qui est plus une curiosité pour provinciaux qu’un film ne peut guère lui laisser espérer un devenir de grande vedette du cinéma.

 Alors par quel miracle se retrouve elle propulsée dans le premier rôle de « La P…Respectueuse » dès l’année suivante? Certes la distribution est bien un peu hétéroclite puisqu’on y trouve à la fois les noms de Marcel Herrand et Louis de Funès. Mais de là à offrir un rôle titre à une parfaite inconnue, le pari restait risqué. Surtout avec un scénario de Jean-Paul Sartre. Quoi qu’il en soit, Barbara est lancée. Elle a tenu ce premier rôle mieux que le film n’a tenu ses promesses. l’Italie l’invite aussitôt à venir y interpréter une énième « Dame aux Camélias » et Hollywood se souvient d’elle pour « Act Of Love » qui se tourne en France avec Kirk Douglas et Dany Robin. Cette avalanche de propositions lui fait louper « La reine Margot » dont Jeanne Moreau fera ses choux gras. Le tournage avait pris du retard, Barbara n’était plus libre.



Tant pis aussi pour l’Allemagne qui devra attendre que Barbara la si belle soit libre pour la faire tourner. Barbara Laage devient une star internationale. Elle est connue et réclamée par l’Amérique, la France, l’Italie, l’Allemagne, bientôt ce sera le Portugal et le Brésil où elle est vénérée. Étrangement, la belle actrice se voit cantonnée en France dans des films policiers de série B. Elle est la seule actrice a alterner les superproductions hollywoodiennes où elle tourne avec Kirk Douglas, Paul Newman ou Gene Kelly avec des films de série noire où elle tourne avec Eddie Constantine, Frank Villard et Daniel Cauchy.

Jamais elle ne croisera sur un plateau français des acteurs tels que Gérard Philipe, Michèle Morgan ou Edwige Feuillère. Barbara Laage est une somptuosité pour séries B, comme Dominique Wilms, Dora Doll ou Claudine Dupuis; Elle ne tourne pas « Le Rouge et le Noir » ou « La Chartreuse de Parme ». Elle tourne « Miss Pigalle », « Ça va être ta Fête », « Ce soir on Tue », « Le Caïd » ou « Quai des Blondes ». Et si elle tourne « Le Caïd » avec Fernandel ce n’est qu’un petit film sans intérêt si ce n’est rapporter de l’argent grâce à sa vedette qui en fait des tonnes. Fernandel n’hésitant pas à grimacer face caméra plutôt que de donner la réplique à ses partenaires dont la pauvre Barbara affublée d’une perruque blonde platine de prisunic en faillite.

Et puis il y aura le mystère Barbara Laage. Il y en avait déjà un dans la mesure où l’actrice n’avait jamais pipé mot sur sa vie privée.

A croire qu’elle se volatilisait dès sa fin de journée au studio.

On ne la voyait même pas venir twister au « Whisky à Gogo » Elle est absente de la vie parisienne et des journaux de cinéma. On  a moins à dire ou à écrire sur Barbara Laage que sur Greta Garbo!

Elle va malgré les propositions internationales s’éloigner du cinéma ou plus exactement devenir une vedette « sporadique ».

En 1955, Barbara tourne en Afrique « Nagana ». Le tournage est long et éprouvant, ce sera son seul film en 1955.

L’actrice rentre en France et doit être hospitalisée. Elle a contracté un virus encore inconnu. On n’arrive pas à soigner la belle Barbara ni même à diagnostiquer son mal avec exactitude. Elle sombre plusieurs jours dans le coma.

Elle recouvrira peu à peu ses forces et reviendra au cinéma l’année suivante mais la belle Barbara Laage ne guérira jamais de son mal lancinant. Normalement active en 1957 où elle tourne trois films, elle doit ensuite s’astreindre à un seul film par an en 1958 et 59. Puis de nouveau sur pieds et croyant en avoir fini avec la maladie, elle honore enfin les propositions allemandes en 1960 et paraît dans cinq films, son record, avant d’être à nouveau physiquement détruite deux ans durant.

En 1958, elle honore ses engagements au festival de Berlin, arrivant comme prévu au bras de Jean Marais pour le grand bal de clôture. Mais à peine arrivée, le temps que les photographes rechargent leur pellicule, elle s’éclipse, laissant  Jean Marais aux bon soins de Tilda Thamar et Agnès Laurent décidément plus en forme!

Les années 60 seront des années de hauts et de bas pour l’actrice souffrante. Six films en dix ans.

La « Nouvelle Vague » était venue déboulonner les vedette populaires du cinéma français et jeter l’anathème à la fois sur les films que Barbara Laage avait tournés et ceux avec qui elle les avait faits . Danielle Godet, Dominique Wilms, Tilda Thamar, Agnès Laurent, Claudine Dupuis ou Véronique Zuber seront littéralement chassées des écrans par une poignée de godelureaux se prétendant les nouveaux génies du septième art parce qu’on avait inventé une pellicule qui permettait de tourner en lumière naturelle. Ils tenteront d’imposer à l’admiration du public leurs petites amies du moment ou quelques demoiselles de grands magasins rencontrées par hasard. Après avoir cassé quelques fauteuils pour en lancer les débris sur les écrans où se produisaient Stéphane Audran, Anna Karina ou Juliette Mayniel, le public se détourna puisqu’on ne voulait pas l’entendre.

On s’acheta un poste de télévision et les cinémas devinrent des parkings.

 Seul François Truffaut aura la politesse, quelques temps avant sa fin de désavouer ses propres films et de réhabiliter ce qu’il avait vilipendé avec tant de hargne. « L’Homme qui aimait les femmes » avouera avoir été fou amoureux de Tilda Thamar et n’avoir loupé aucun de ses films, rêvant en secret de faire tourner toutes celles qu’il avait condamnées à la mort filmée. Puis baissant les yeux, il avouera dans un soupir « Les films de Gilles Grangier, dans leur noir et blanc superbe sont meilleurs que les miens » Et de tourner « Vivement Dimanche » pour « Demander pardon »

Encore une fois, le statut de Barbara Laage à l’avènement de la nouvelle vague sera un statut « a part ». Alors que ces jeunes freluquets tirent à boulets rouges sur Michèle Morgan, Edwige Feuillère, Gabin ou Fernandel, François Truffaut fait tourner Barbara Laage dans « Domicile Conjugal ». Elle est la seule actrice à être sauvée du cinéma populaire des années 50 par la « Nouvelle Vague ».



Elle connait encore un énorme succès théâtral à la rentrée 1962 lorsqu’elle crée avec Michel Piccoli « Les Cailloux » de Félicien Marceau. Toute la jet set de l’époque à l’exception de Brigitte Bardot a pour habitude de passer ses vacances à Capri. Bianca, l’épouse de Félicien Marceau est d’ailleurs originaire de l’île et le couple y passe plusieurs mois par an. Marceau observant à loisir les stars comme les têtes couronnées ou la noblesse italienne y frayer sous le soleil. Il suffit alors de s’asseoir à une terrasse pour voir très vite passer Anita Ekberg, Vittorio Gassman, Marcello Mastroianni, Simone de Beauvoir, Jean Paul Sartre,  Françoise Arnoul, Ava Gardner, Soraya, Alberto Sordi, le prince Orsini, Henri Georges Clouzot, Nadia Gray, la princesse Borghèse ou Françoise Sagan.

Marceau épingle tout ce beau monde en vacances sur son île et très vite le théâtre de l’atelier ne désemplit plus. Marceau est tout à fait ravi de voir sur la petite place Dancourt les Alfa Roméo et les Ferrari de la jet set italienne qui a fait le déplacement exprès pour voir ce que l’on va bien pouvoir dire d’eux alors que l’on était à peine remis de « La Dolce Vita ». Barbara joue un personnage inspiré par l’impératrice répudiée Soraya, Piccoli s’offre l’élégante dégaine du prince Orsini et un soir dans la salle, José Luis de Villalonga se lève et hurle « Mais qu’est-ce que c’est que ce Capri pour concierges? » Bref si le scandale est petit, le succès est énorme.

Avec les années 70, Barbara Laage, toujours aussi sublime la cinquantaine venue que dans « La Rose Rouge » est considérée avec beaucoup de respect par le cinéma français. Mais ses forces physiques ne sont pas à la hauteur de ce que lui offre enfin le cinéma. En 1973, elle tourne deux films qu’elle ne « pouvait pas refuser » et se retire, comme Rita Cadillac, dans sa propriété de Deauville.

En 1976 elle accepte un ultime téléfilm « Une Place Forte » par amitié pour Ivan Desny, son partenaire de « La P…Respectueuse ».

En 1988, Barbara Laage est à nouveau hospitalisée et sombre une fois encore dans le coma. Cette fois hélas elle n’en sortira pas. Elle meurt après plusieurs semaines d’inconscience le 19 Mai. Elle aurait eu 68 ans moins de trois mois plus tard dont 33 à passer en lutte contre la maladie.

Barbara Laage n’aura jamais été une des plus éblouissantes étoiles du cinéma, mais elle aura été une de ses plus lumineuses beautés.

Celine Colassin




QUE VOIR?

Filmographie complète:

1942: Signé Illisible: Avec Gaby Sylvia et André Luguet

1948: B.F.’s Daughter: Avec Barbara Stanwyck, Van Heflin et James Coburn

1951: La Rose Rouge: Avec Françoise Arnoul, Yves Déniaud et Dora Doll

1952: La P…Respectueuse: Avec Ivan Desny

1953: L’Esclave: Avec Eleonora Rossi Drago et Daniel Gélin

1953: Traviata 53: Avec Armando Francioli

1953: Act of Love: Avec Dany Robin et Kirk Douglas

1954: Quai des Blondes: Avec Michel Auclair et Madeleine Lebeau

1954: Zoé: Avec Michel Auclair

1955: Nagana: Avec Renato Bladini et Gabrielle Dorziat

1956: Les Aventures de Gil Blas de Santillane: Avec Georges Marchal

1956: Je Plaide Non Coupable: Avec Andrée Debar, Betty Stockfield et Jacqueline Sassard

1957: Deuxième Bureau contre Inconnu: Avec Frank Villard

1957: The Happy Road: Avec Gene Kelly et Michael Redgrave

1957: Action Immédiate: Avec Henri Vidal, Nicole Maurey et Lino Ventura

1958: Miss Pigalle: Avec Florence Arnaud et Daniel Cauchy

1959: Ce Soir on Tue: Avec Dominique Wilms et Pierre Trabaud

1959: Un Mundo Para Mi: Avec Agnès Laurent et Armand Mestral

1960: Le Caïd: Avec Fernandel

1960: Ça va être ta Fête: Avec Eddie Constantine

1960: Bomben auf Monte Carlo: Avec Marion Michael et Eddie Constantine

1960: Orientalische Nächte: Avec Marina Petrova

1960: Paris Blues: Avec Joanne Woodward et Paul Newman

1963: Vacances Portugaises: Avec Françoise Arnoul, Jean-Pierre Aumont et Michel Auclair

1963: Le Captif: Avec Jean Chevrier

1964: O Crime da Aldeia Velha: Avec Clara D’Ovar et Alma Flora

1966: O Corpo Ardente: Avec Mario Benvenutti

1968: Thérèse et Isabelle: Avec Anna Gaël et Essy Persson

1968: Drôle de Jeu: Avec Maurice Garrel et Michèle Girardon

1970: Domicile Conjugal: Avec Jean-Pierre Léaud et Claude Jade

1973: Défense de Savoir: Avec Jean-Louis Trintignant et Charles Denner

1973: Projection Privée: Avec Françoise Fabian, Jane Birkin et Jean-Luc Bideau

 

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