Lorsque Géraldine Chaplin vient au monde le 31 juillet 1944, son père, l’auguste Charles Chaplin a 55 ans et a déjà eu trois enfants. Un premier avec Mildred Harris, deux ensuite avec Lita Grey. Ces premières paternités ont fait scandale. Les jeunes mères étaient de très jeunes mères. Mildred Harris n’avait que 17 ans et l’enfant ne vivra que trois jours, ce qui provoquera la rupture du couple.
Lita n’avait pour sa part que 16 ans ce qui scella définitivement la réputation « d’amateur de fruits verts » de Chaplin. Ne s’étaient ils pas rencontrés quand Lita n’avait que 12 ans? Chaplin ne l’avait-il pas choisie parmi toutes les autres pour être sa partenaire dans « Le Cirque » alors que de l’avis unanime elle était la pire? La mère de Lita n’avait-elle pas exigé de ne pas quitter sa fille d’une semelle? Et in fine n’avait-il pas fallu interrompre le tourage à cause de cette très voyante grossesse? Chaplin épousa Lita. Il valait mieux, il risquait 30 ans de prison. Lita est donc la mère des deux premiers fils de Charles Chaplin : Charles Chaplin Jr. Né en 1925 et Sidney né en 1926.
Lorsque Géraldine vient au monde, son père n’a pas perdu son goût pour la jeunesse. Oona son épouse n’a que 19 ans à opposer à son demi siècle révolu. Elle en avait 17 lors de leur rencontre à Paris. Charles Chaplin et Oona O’Neil se sont mariés le 16 juin 1943. Oona est la fille du dramaturge Eugène O’Neil et de l’écrivaine Agnès Boulton. Eugène O’Neil aura l’indélicatesse de déshériter sa fille à l’annonce de ce mariage qu’il trouve scandaleusement contre nature. Alors qu’il n’avait éprouvé aucun scrupule à abandonner son épouse quand Géraldine n’avait que deux ans.
Si la presse de l’époque se montra bien un peu scandalisée, on était en guerre et accessoirement en pénurie de papier. On écrivit donc peu. On s’accorda à donner plus de chances à ce mariage là car au moins, Oona n’était pas une petite starlette en quête de gloriole cinématographique. C’était une intellectuelle disait-on.
Qu’en savait on ?
Si elle rencontra Chaplin, c’est parce qu’elle aussi, comme Mildred et Lita briguait un rôle dans son prochain film. Bien malin qui pourra dire qu’Oona est le grand amour de Chaplin. En tout cas ce sera le dernier. Le couple aura huit enfants dont Géraldine est la première. On peut la considérer comme l’aînée de la fraterie puisque ses deux demi-frères ne sont plus des enfants. Geraldine sera suivie de
Michael en 1946
Joséphine en 1949
Victoria en 1951
Eugène en 1953
Jane en 1957
Annette en 1959
Et Christopher en 1962.
A l’heure de la naissance de Géraldine, Charles Chaplin est dans la tourmente. Sa première épouse décède à 42 ans. Des langues malveillantes lient cette mort prématurée à la naissance de Géraldine. Mildred a 42 ans. On la dit morte de désespoir. Le désespoir de la femme abandonnée avec son enfant mort.
En réalité elle meurt d’une pneumonie qui ne doit rien à Charlot.
Les mœurs de Chaplin font scandale et polémique. Il a plusieurs procès en cours.
Ses activités semblent louche au gouvernement. Le fisc n’est pas content non plus.
Bref ce n’est pas rose tous les jours.
Charlot poursuit sa route avec opiniâtreté, il ne prend même plus la peine de se défendre publiquement. A quoi bon dire que Mildred Harris est morte emportée par une pneumonie ? A quoi bon dire que dans ses procès il est le plaignant ?
En 1952, cette attitude un peu trop désinvolte se retourne contre lui. Alors que la famille Chaplin voyage en Europe, le gouvernement américain révoque les visas du couple.
Chaplin ne peut plus rentrer aux USA. Si Chaplin est dévasté, Oona est scandalisée ! Elle renonce à la nationalité américaine et devient citoyenne anglaise. Elle ne remettra jamais les pieds aux USA. Lorsque Chaplin rentrera en grâce, il rentrera tout seul !
En attendant, Géraldine qui n’a que 8 ans est la plus déracinée des enfants. Son père lui a permis de venir voir à quoi ressemblait son métier. Elle fait une petite apparition dans » Limelight ». Elle est une petite fille assise sur un escalier. Elle a 8 ans. 8 ans c’est assez pour intégrer un prestigieux collège suisse pour filles de bonnes familles. Elle y apprendra les bonnes manières, l’art de se tenir et celui de tenir une conversation. Et au passage le français et l’espagnol ce qui décidera plus tard du reste de sa vie. Comme elle est bien sage, elle peut à nouveau venir voir papa Charlot travailler et apparaît dans « Un roi à New-York » dont la vedette féminine est Dawn Addams
La famille Chaplin s’est installée en Suisse dans une vaste propriété où Charlie et son épouse finiront leurs jours.
Géraldine réapparaîtra en 1959. Lorsque, comme toute jeune fille du beau monde, elle fera son bal des débutantes. Timide jeune fille toute d’organdi blanc valsant dans les bras de son vénérable papa fier ce soir là comme Artaban.
Geraldine est sortie de son pensionnat avec une vocation immense. Celle de la danse qu'elle travaille avec acharnement. Elle décroche un rôle dans un ballet au théâtre de la gaité lyrique à Pais. Son père lui a loué une petite chambre de bonne au Trocadéro. Mais à Paris, Géraldine ne fait pas que danser. Elle est tombée amoureuse de son partenaire le danseur russe Georges Golovine Gavrilof. Les jeunes amoureux se comportent comme un couple de fiancés bien élevés. De vrais amoureux de Penney. C’est que Géraldine ne veut à aucun prix que son père apprenne sa liaison par la presse. Elle supplie les photographes de ne pas publier leurs clichés. De son côté, le beau Georges n’a qu’une seule chose à répondre aux journalistes « Ca dépend de monsieur Chaplin », « Quand j’aurai vu monsieur Chaplin »
De l’avis général, Géraldine est douée. Elle avait été un charmant petit rat et maintenant on venait l’applaudir. Pourtant un jour elle rentre à la maison et annonce renoncer à la danse. Devant la tête effarée de sa mère elle déclare sans appel : « Ce n’est pas moi qui abandonne le ballet c’est lui qui me laisse tomber. J’ai commencé trop tard, je serai peut-être bonne mais pas parfaite ! Ca ne m’intéresse dans de danser de là peu près ! » A ce moment là, Charlie et Oona furent immensément fiers.
Charlie vit en sa fille l’héritière de son perfectionnisme absolu et son amour du travail acharné. Oona vit en sa fille l’inébranlable détermination qui la définissait elle-même toute entière. Geraldine n’allait pas rester désœuvrée longtemps. Fille de génie, son nom de famille était aussi prestigieux que ceux d’Orson Welles, Albert Einstein, un ami ami de la famille ou de Charles de Gaulle. Dès que son frais minois parut à la faveur du bal des débutantes, tous les couturiers, tous les créateurs, tous les photographes, tous les magazines de mode se ruèrent sur l’aubaine ! Ils tenaient leur « vraie jeune fille ». Elle était brune, délicieusement maigre, souple et sauvage, élégante et sérieuse que pouvait on vouloir de plus ? L’aubaine était miraculeuse. Même si le beau danseur russe avait disparu des écrans radars.
Il ne fera pas la carrière dont Géraldine rêvait pour lui, le trouvant bien supérieur à Noureev.
Géraldine devint un mannequin vedette très coté et très vite ses revenus seraient les plus élevés de toute la tribu. Inévitablement la question taraudait : Cette maigritude de papier glacé avait-elle hérité du talent paternel ? Quand allait elle donc faire du cinéma, bon sang ?
Elle s’installa à New-York, passa les essais pour « Pieds nus dans le Parc » et perdit le rôle au profit de Jane Fonda.
Avait-elle été insuffisante? La réponse n’allait pas tarder. Jacques Deray est le premier à lui faire confiance et la fait débuter au côté de Belmondo dans: « Un beau matin d’été » dont la vedette féminine est cette fois Sophie Daumier.
David Lean songe à elle pour son « Docteur Jivago ». Mais le film risque d’engloutir des fortunes et il ne trouve pas ses financements. Géraldine a 20 ans, elle s’en mêle ! « Je m’appelle Chaplin, que ça serve à quelque chose ! » Les banques vont céder. C’est elle qui permet à un David Lean sidéré de boucler ses budgets. On allait voir que la « fille du génie » n’était pas qu’une petite maigrelette bien habillé. Elle avait du caractère, elle avait du cran, elle avait du talent ! Du talent et du tempérament. On lui prêta une idylle avec son partenaire Omar Sharif mais celui-ci désabusé laissa tomber: « Ne me parlez pas de la vie sentimentale de Géraldine Chaplin! Je ne suis pas concerné et elle a eu tellement de tocades amoureuses durant le tournage que j’ai perdu le fil ».
Géraldine ne commenta pas. Le dernier tour de manivelle donné, elle avait filé à Rome avec le jeune torero Manolo.
Docteur Jivago lui vaudra sa première nomination aux Golden Globes. L’année suivante son père la dirige dans son ultime film « La Comtesse de Hong-Kong » alias Sophia Loren aux prises avec Marlon Brando.
Le film est très en dessous des attentes du public, des critiques et probablement de Chaplin lui-même. On préfère s’intéresser aux jeunes amours de Géraldine avec l’acteur espagnol Manolo Velasco. Géraldine affirmant même qu’elle va devenir madame Velasco et qu’elle n’est pas du genre à se marier pour six mois.
Elle a raison. En fait ces deux-là ne se marieront pas du tout.
Géraldine s’est imposée parmi les jeunes espoirs du cinéma à la vitesse de l’éclair. Même si son physique atypique, presque androgyne ne lui ouvre pas en grand les portes des comédies romantiques où brillent les Audrey Hepburn ou les Leslie Caron. Peu lui importe. Géraldine est déjà ailleurs. Elle a tourné pour Carlos Saura. Un jeune réalisateur espagnol séduisant de sa personne. « Peppermint frappé ». Leur film est projeté au festival de Cannes 1968. Géraldine Chaplin et Carlos Saura y viendront main dans la main, portant les mêmes alliances. Et sans faire de commentaires sur les rumeurs d’un mariage secret qui galopent bon train. Ils donneront l’image d’un bonheur parfait avant de s’éclipser discrètement d’un festival mis à mal par les « évènements » de Mai 68. Si les échotiers qui juraient avoir la preuve d’un mariage secret s’étaient un peu mieux informés, ils auraient su que Saura était encore marié et accessoirement père de deux fils à l’heure du festival de Cannes.
Carlos et Géraldine resteront 12 ans ensemble, tourneront neuf films et auront un fils. Shane né en 1974. Durant sa longue collaboration avec Saura, Géraldine Chaplin a l’image d’une actrice à la fois élitise et dilettante. Abonnée aux films d’auteurs, peu ont une reconnaissance publique. Certains tournés à l’étranger ne sortent pas en France. « La Madriguera » mettra huit ans à sortir dans l’hexagone. Géraldine commente « C’est curieux. Carlos Saura me voit toujours dans des rôles de névrosées alors que Robert Altman et Richard Lester ne m’appellent que pour des rôles de rigolote!« Puis, soudain, l’insaisissable inclassable surgit dans un Louis de Funès puis se retrouve dans un remake des « Trois Mousquetaires » entre Faye Dunaway et Raquel Welch !
Après sa rupture espagnole, Géraldine semble se décider enfin à une carrière sinon plus populaire du moins plus visible. C’est « Le voyage en douce » de Michel Deville, « Le miroir se brisa » de Guy Hamilton, « Les uns et les autres » de Lelouch et enfin la télévision où elle n’avait fait qu’apparaître furtivement en Espagne. Elle va alors tenir un rythme de croisière de tournages intensifs. Travaillant dans plusieurs pays. Les USA, la France, l’Espagne, Le Portugal, l’Allemagne, L’Italie on la retrouve aux génériques de films prestigieux comme à ceux de films d’auteurs confidentiels ou débutants tournant avec trois cacahuètes et deux élastiques.
Mais jamais au grand jamais, Géraldine Chaplin ne joue à la star. Jamais elle ne porte un film.
Ni elle ni aucun des enfants Chaplin qui auront embrassé la carrière d’acteur. Comme si la place de la star c’était celle du patriarche. Et c’est une gageure ! Comment rester à ce point discrète, presque anonyme quand on a tourné pour Charles Chaplin, Jacques Deray, Carlos Saura, Richard Lester, Robert Altman, Alain Resnais, James Ivory, Claude Lelouch, Richard Attenborough, Martin Scorsese, Jodie Foster, Franco Zeffirelli, Pedro Almodovar et même Jane Birkin.
Aujourd’hui, Géraldine Chaplin tourne comme une dingue.
Elle est mariée avec le chef opérateur chilien Patricio Castilla, père de sa fille Oona née le 4 juin 1986 et devenue, elle aussi comédienne discrète.
Charlie Chaplin s’est éteint entouré des siens le 25 décembre 1977, au pied du sapin dans sa propriété de Suisse. Un peu plus tard sa tombe sera profanée et son cercueil dérobé. La dépouille du génie fera l’objet d’une demande de rançon. L’impayable Oona qui décrocha le téléphone glapit aux oreilles des kidnappeurs médusés : « Vous avez volé la dépouille de mon mari ? Et bien Gardez-la et grand bien vous fasse, moi je n’en ai rien à cirer ! Et vous n’aurez pas un clou ! » C’est Géraldine qui négociera avec les ravisseurs avant qu’ils ne soient interpellés. En découvrant l’endroit où ils avaient enterré son père « en attendant de le rendre », elle déclarera « Ils avaient bien choisi, ça lui aurait beaucoup plu ! Je me demande même s’il ne préfèrerait pas rester ici ! ».
La vaste propriété familiale est devenue un musée. Le musée Charlie Chaplin. Il repose sous une lourde chape de béton. On ne sait jamais. La famille s’est installée dans une autre propriété toute proche et gère elle-même le musée. Géraldine s’est désolidarisée de l’héritage culturel de son père. Elle a renoncé à ses droits pour ne plus avoir à en discuter avec ses frères et sœurs.
Celine Colassin.
QUE VOIR ?
1952 : Limelight : Avec Charles Chaplin
1957: Un roi à New-York: Avec Dawn Addams et Charles Chaplin
1965 : Par un beau matin d’été : Avec Sophie Daumier et Jean-Paul Belmondo
1965 : Le docteur Jivago : Avec Omar Sharif
1967 : La Comtesse de Hong-Kong : Avec Sophia Loren et Marlon Brando
1967: Stranger in the house: Avec James Mason
1967 : Peppermint frappé : Avec José Luis Lopez
1969 : La Madriguera : Avec Per Oscarsson
1971 : Sur un arbre perché : Avec Louis et Olivier de Funès
1972 : Innocent Bystanders : Avec Stanley Baker
1973 : Néfertiti et Akhenaton : Court métrage avec John Gavin
1973 : Ana y los lobos : Avec Fernando Feran Gomez
1973 : The Three Musketeers : Avec Faye Dunaway et Raquel Welch
1974 : The Four Musketeers : Avec Faye Dunaway et Nicole Calfan
1975 : Nashville : Avec Karen Black
1976 : Cria Cuervos : Avec Ana Torrent
1976 : Buffalo Bill and the Indians or Sitting Bull’s History Lesson : Avec Paul Newman
1976: Welcome to L.A. Avec Sissy Spacek et Sally Kellerman
1977 : Roseland : Avec Teresa Wright
1977 : Elisa, vida mia : Avec Fernando Rey
1978: Les yeux bandés: Avec José Luis Gomez
1978: A Wedding: Avec Mia Farrow et Vittorio Gassman
1978: Remember my name: Avec Anthony Perkins et Beery Berenson
1979: L’adoption: Avec Francis Perrin
1979: Mais où est donc Ornicar? Avec Brigitte Fossey
1981 : Les un et les autres : Avec James Caan
1983 : La vie est un roman : Avec Vittorio Gassman
1984: L’amour par terre: Avec Jane Birkin et André Dussolier
1987: White Mischief: Avec Sylvia Moles et Greta Scacchi
1990 : Gentile Alouette : Avec Hector Alterio
1992 : Chaplin : Avec Robert Downey Jr.
1993 : Age of innocence : Avec Michelle Pfeiffer et Daniel Day Lewis
1995 : Home for Holidays : Avec Anne Bancroft et Holly Hunter
1996 : Os Olhos da Ásia : Avec José Abreu
1996 : Jane Eyre : Avec Charlotte Gainsbourg
1998 : Cousine Bette : Avec Jessica Lange
1998 : Finisterre, donde termina el mundo : Avec Enrique Alcides
2002 : Parle avec elle : Avec Javier Camara
2007 : Teresa, el cuerpo de Cristo : Avec Paz Vega
2007 : Boxes : de et avec Jane Birkin
2008 : Parlami d’amore : Avec Silvio Muccino
2010 : La mosquitera : Avec Emma Suarez
2012 : Un amor de película : Avec Antonio Chamizo
2013 : Another Me : Avec Sophie Turner
2014 : Amapola : Avec Camilla Belle
2015 : Moi et Kaminski : Avec Amira Casar
2016 : A Monster Calls : Avec Sigourney Weaver
2019 : Los Rodríguez y el más allá : Avec Placido Domingo
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