S'il est une une catégorie d'actrices que j'affectionne entre toutes c'est bien celle des monstres sacrés. Et pour ce qui est de l'inénarrable Margaret Leighton elle est peut-être avec Tallulah Bankhead la plus spectaculaire de toutes.
Il faudrait pour s'en convaincre revoir deux de ses films, tournés à deux périodes hautement significatives de sa carrière. Le premier "Bonnie Prince Charlie" de 1949 nous la montre en altière héroïne en costume face à un David Niven médusé dans le rôle titre. Le film, reconstitution historique en technicolor emploie une armada de figurants et des acteurs chevronnés jusque dans les plus petits rôles. Mais la production aurait pu économiser bien des millions de livres anglaises en filmant simplement Margaret Leighton dans sa cuisine ou son jardin. Le film n'en aurait pas été moins spectaculaire et peut-être bien plus intéressant. Car enfin, le très gros défaut de "Bonnie Prince Charlie" est que Margaret Leighton ne soit pas de toutes les scènes. Elle affiche alors la grâce un peu hautaine qu'affichent à l'époque des actrices comme Edwige Feuillère ou Greer Garson. Quant à David Niven elle le retrouvera dans "Cour Martiale" le temps d'être son épouse névrosée pour ne pas dire hystérique mais follement Dior quand même pour l'accabler au tribunal!
Retrouvons-la ensuite en 1972 dans "Zee and Co" face à Elizabeth Taylor. Elle joue maintenant une vielle bique millionnaire et fantasque, sorte de vieux squelette désarticulé sous une perruque et des lunettes invraisemblables comme si elle voulait cacher un crâne pelé et les traces de ses innombrables liftings. Elle porte bien sûr d'invraisemblables oripeaux "hippie chic" comme si elle avait 18 ans et revenait de Woodstock alors qu'elle en a 118 et que ses ossements jouent la danse macabre au xylophone de ses douloureux mouvements. On avait rarement vu pareille momie efflanquée au cinéma. A ceci près que Margaret fêtait ses 50 ans sur le tournage. Cinquante ans seulement. Décidément la dame n'avait peur de rien. Prête à toutes les outrances et à tout sacrifier pour un rôle.
A part Angela Lansbury dans "Mort sur le Nil," je ne vois pas qui est allée aussi loin dans le genre "décrépitude attitude" pour faire rire de bon coeur.
Margaret Leighton naît le 26 Février 1922 à Barnt Green dans le Worcestershire et décida probablement le jour même de devenir une grande, très grande actrice. La plus grande de toutes. A 16 ans et d'une affolante maigreur, elle débute sur scène et considère, déjà, qu'elle est faite pour les rôles de dames très distinguées. Il est vrai qu'elle est mieux tournée pour les pages de VOGUE que pour les calendriers pour chauffeurs routiers. Dès sa première apparition sur scène, elle est si spectaculairement exceptionnelle que la jeune BBC achète les droits de la pièce "Laugh with Me" pour l'adapter à la télévision. A condition bien évidemment que Margaret garde son rôle.
Nous sommes hélas en 1938, la guerre ne va pas tarder à fondre sur l'Albion. Il faudra donc prendre tous les maux de la terre en patience pour retrouver à la fois la paix relative du monde et Margaret Leighton. Bien entendu, elle n' a pas chômé durant les hostilités et aurait joué dans un théâtre en feu. Mais enfin, la plupart de ceux-ci étant finalement détruits, les occasions de s'y produire s'en trouvaient réduites d'autant.
La revoilà donc en 1946 triomphant sur la scène du plus illustre de ceux restés debout: L'Old Vic entièrement dévoué à Shakespeare et s'y produisant face à Laurence Olivier. Le couple triomphal s'en ira donner la tragédie shakespearienne à Broadway et tiendra l'affiche des mois durant en alternant pas moins de cinq pièces de ce bon William. Ceci a d'ailleurs dû ébranler les nerfs de miss Vivien Leigh, Scarlett O'Hara a l'écran et madame Olivier à la ville. On sait que la star n'était pas partageuse tant en mari qu'en rôles.
Etrangement les sirènes hollywoodiennes n'eurent pas sur les distinguées oreilles de miss Leighton le même effet que sur Lorenz et sa dame. C'est en Angleterre, accueillie comme une reine qui rentrerait des croisades que Margaret Leighton tâtera du cinéma. Pour Hollywood il faudra attendre 1949 et l'insistance d'Alfred Hitchcock pour qu'elle tourne "Under Capricorn" avec Joseph Cotten, Ingrid Bergman et ce qui ne manque pas d'un certain piquant (mais n'anticipons pas), Michael Wilding.
A la ville, Margaret est devenue l'épouse de Max Reinhardt. Non l'illustre homme de théâtre mais l'éditeur londonien, collaborateur de Graham Greene qui édite entre autres les œuvres de Georges Bernard Shaw. Autre détail piquant si on songe que l'auteur en question est éperdu d'admiration pour Margaret Leighton et qu'il écrira "Doux Oiseau de Jeunesse" à sa seule intention. Durant ce mariage, Margaret s'est hissée au rang de star et s'apprête à recevoir son premier Tony Award pour "Tables Séparées" où elle tient à la scène le rôle que Deborah Kerr tiendra à l'écran.
En 1951, elle s'entiche de l'acteur Laurence Harvey à la stupéfaction générale. Harvey n'est pas encore une superstar, il devra attendre "Une Chambre en Ville" avec Simone Signoret en 1959 pour atteindre enfin au vedettariat qu'il attendait depuis plus de 10 ans. Mais outre que Laurence Harvey a quelques années de moins que Margaret, il est de longue date l'amant d'une actrice fortunée de 22 ans son aînée. Ceci, même s'il a la réputation d'être un homosexuel notoire et mener une liaison très suivie avec son agent. Il a en outre la réputation d'être odieux, outrancièrement pédant et incurablement alcoolique. Bref, Margaret Leighton se serait entichée d'un petit gigolo des rues basses que l'opinion n'aurait pas été plus scandalisée. Pourtant Margaret tiendra bon. Elle divorcera en 1955 pour épouser Laurence Harvey en 1957...Et divorcer en 1961. Entretemps, Laurence Harvey se sera lié d'amitié pour la vie avec Elizabeth Taylor et Richard Burton ce qui laisse aimablement présumer de la sobriété des petites soirées intimes entre amis au coin du feu.
Ce mariage, bien entendu fait jaser et l'affolante maigreur de Margaret Leighton va finir par attirer toute l'attention. Car enfin, on ne peut guère trouver que Kay Kendall et Audrey Hepburn qui puissent lui être comparées. Margret Leighton a l'air d'un squelette en verre soufflé ligoté dans une création Dior ou Balenciaga pour ne pas se briser et voir ses morceaux s'éparpiller. Elle est plus que diaphane, elle est transparente. Elle n'est pas gracieuse elle est efflanquée. Elle n'est pas distinguée elle fait plus vielle que son âge. Bref elle inquiète. On la dit alcoolique, droguée, bref on cherche. On est bien loin d'imaginer que Margaret Leighton est de santé fragile et qu'elle sera bientôt victime de la sclérose en plaques. Mais en attendant le diagnostic fatal, Margaret va se remarier une troisième fois en 1964. Son ultime époux dont elle fera un veuf n'est autre que l'ex mari d'Elizabeth Taylor et longue passion de Marlène Dietrich, Michael Wilding!
Margaret Leighton va donc très tôt privilégier le travail à la télévision aux tournages moins longs et plus rapides qu'au cinéma où elle préfère d'ailleurs assumer un second rôle nécessitant une présence moins longue. C'est avec un second rôle dans "Le Messager" qu'elle va connaître l'apogée de sa carrière cinématographique en 1970. Elle reçoit un Oscar britannique avant d'être nommée pour ce même rôle à Hollywood.
Le couple Wilding se fera de plus en plus discret et pour cause. Si Margaret est de plus en plus souffrante, Michael Wilding est atteint d'épilepsie et ses crises sont de plus en plus fréquentes. Il renoncera à sa carrière avant Margaret et apparaîtra pour la dernière fois à ses côtés, pour lui faire plaisir, en 1972. Margaret paradoxalement plus souffrante et sans espoir de guérison ne renoncera jamais à sa carrière. Ses deux dernières performances dans un film et un téléfilm seront applaudies de manière posthume.
En 1973, déjà très souffrante elle accepte un rôle dans "Bequest of the nation". "Ce film où Glenda Jackson incarnera lady Hamilton après Vivien Leigh? Où est-ce que je dois signer? Il faut que je voie ça de près!" Ce ne sera évidemment pas le dernier film qu'elle "verra de près".
Margaret Leighton est vaincue par sa maladie le 13 janvier 1976 sans avoir eu le temps de fêter ses 54 ans. Elle qui jouait les rombières centenaires depuis 20 ans!
Michael Wilding ne lui survivra que peu. Il meurt le 8 Juillet 1979 des suites de ses blessures à la tête provoquées par une chute dans les escaliers elle-même provoquée par une crise d'épilepsie
Celine Colassin
QUE VOIR?
1948: The Winslow Boy: Avec Robert Donat
1949: Bonnie Prince Charlie: Avec David Niven
1949: Under Capricorn: Avec Ingrid Bergman, Joseph Cotten et Michael Wilding
1950: The Astonished Heart: Avec Celia Johnson et Noël Coward
1952: The Holly and the Ivy: Avec Ralph Richardson et Celia Johnson
1952: Home at Seven: Avec Ralph Richardson
1954: Carrington V.C.: Avec David Niven et Noëlle Middleton
1954: The Teckman Mystery: Avec John Justin
1959: The Sound and the Fury: Avec Joanne Woodward et Yul Brynner
1966: Seven Women: Avec Anne Bancroft, Flora Robson et Sue Lyon
1969: The Madwoman of Chaillot: Avec Katharine Hepburn Giulietta Masina et Yul Brynner
1971: The Go-Between: Avec Julie Christie et Alan Bates
1972: Waltz of the Toréadors: Avec Dany Robin et Peter Sellers
1972: Zee and Co: Avec Elizabeth Taylor, Michael Caine et Suzanna York
1972: Lady Caroline Lamb: Avec Sarah Miles et Michael Wilding
1973: Bequest of the nation: Avec Glenda Jackson et Peter Finch
1974: From Beyond the Grave: Avec Ian Carmichael
1975: Galileo: Avec Topol et Edward Fox
1975: Trial by Combat: Avec Barbara Hershey et Donald Pleasance