La petite Simone Henriette Kaminker naît à Wiesbaden le 25 Mars 1921 et deux petits frères viendront compléter la famille
Simone va immédiatement s’enticher de ses deux petits garnements de frères. Elle sera leur « petite maman ».
Son père André, avocat et traducteur a abandonné sa carrière pour devenir officier dans l’armée française. Il y restera dix ans.
Et s’il est né à Paris, il est Juif Polonais. Sa famille est originaire de Cracovie.
Après la guerre de 14-18, André Kaminker fait partie des forces d’occupation en Allemagne. C’est comme cela que Simone vient au monde en pays teuton.
Très vite, la famille Kaminker quitte l’Allemagne et regagne Paris où André ouvrira une agence de publicité très courue. L’agence Damour. Un certain Marcel Carné fera un temps partie du personnel. André Kaminker reprendra ensuite ses occupations de traducteur, traduisant des discours pour des assemblées internationales.
En 1940, au déclenchement des hostilités si redoutées depuis si longtemps, les Kaminker se retrouvent coincés en Bretagne et la jeune Simone au lycée de Vannes.
Très vite André Kaminker s’embarquera pour l’Angleterre rejoindre le général de Gaulle. Son épouse reste seule avec Simone, jeune adulte et les deux petits frères encore à l’école. Simone se souviendra longtemps d’un de ses professeurs : Lucie Aubrac qui aura, un demi-siècle plus tard, les traits de Carole Bouquet au cinéma.
André Kaminker a donc rejoint le général de Gaulle. Le reste de la famille gagne Paris, la tête farcie d’idées patriotiques et libertaires. La jeune fille est décidée à prendre sa vie en mains et n’a pas l’intention de se cacher dans une cave ou un grenier en attendant que les choses se tassent. Pour peu, elle s’engagerait si on la laissait faire !
A défaut de champ de bataille, il faut bien vivre et travailler. D’autant que sa mère est complètement démunie face à la situation. Un mari parti, un pays occupé, une ville où on manque de tout. Du boire, du manger, du chauffer.
A Paris, Simone s’est fait une amie, et pas n’importe laquelle. Corinne Luchaire en personne. La très belle et très blonde Corinne est une des gloires montantes du cinéma français.
Aujourd’hui son nom a sombré dans l’oubli après avoir été traîné dans la boue, mais à l’époque, elle était aussi célèbre qu’une Sophie Marceau ou une Vanessa Paradis.
Corinne a été sublime dans « Prison sans barreaux » qui l’a propulsée au premier rang des vedettes françaises. Une adaptation de « belle de Jour » de Joseph Kessel se prépare à son intention.
Son père, intellectuel alors respecté a son propre journal.
Corinne y fait engager Simone qui y travaille avec application. Sa maîtrise parfaite de l’anglais fait d’elle une perle de secrétaire. L’amitié de Simone Signoret pour une fille rebaptisée « La demeurée » par le tout Paris tant ses facultés intellectuelles étaient limitées a d’ailleurs de quoi surprendre.
Les Luchaire père et fille sont des locomotives de ce tout Paris.
Ils deviendront des personnages troubles et controversés de la période d’occupation.
Corinne n’a pas eu les scrupules d’une Michèle Morgan ou d’un Jean Gabin. Elle continue à tourner sous l’occupation pour la Continental. Elle se fiche de la guerre et de la politique comme d’une guigne : elle est jeune, riche, belle et célèbre, elle veut vivre. Elle aime que les gens qui l’entourent, les garçons de préférence soient jeunes, drôles et beaux, qu’ils soient juifs, communistes, résistant ou SS ne la concerne pas.
Il y a hélas plus de nazis et de collabos dans le Paris des années guerre que de juifs, de communistes et de héros sans peur et sans reproches dans les soirées chez Maxim’s !
Le père de Corinne, Jean Luchaire, surnommé bien vite « louche Her » par les parisiens est contacté par la gestapo. Il accepte de travailler pour l’occupant et met son journal à leur service.
Ce qui ne l’empêche pas de protéger l’amie de sa fille, cette Simone Kaminker contre les dangers de la déportation. Certes la judéité se « transmet » par la mère et la maman de Simone est catholique. Mais l’occupant et particulièrement la gestapo s’embarrasseraient ils de ce genre de subtilités devant une Kaminker ? Même la police française pourrait lui jouer un très mauvais tour si par malheur elle devait leur présenter ses papiers.
Quant à Luchaire, il est fort probable que la jeune Simone ne fut pas la seule à profiter de cette précieuse protection. Mais la collaboration du directeur du journal avec l’ennemi est bien trop voyante et bien trop affichée pour qu’il puisse s’en tirer.
Il sera fusillé. Corinne sera déportée.
Simone, devenue Signoret, le nom de jeune fille de sa mère, va tout faire pour sauver la vie du vieux Luchaire. En vain.
Elle avait déjà tenté à plusieurs reprises de le mettre en garde des dangers qu’il courrait, en vain là aussi.
Un jour elle part en claquant la porte du journal non sans leur avoir glapit au visage « Vous serez tous fusillés ! » Une phrase dont elle aura honte toute sa vie.
Bien des années plus tard, Simone éludera autant que faire se peut son passage dans le journal collaborationniste de Luchaire. Un jour qu’elle évoque son passé dans une interview, le journaliste lui lance « Vous avez travaillé dans un journal, je crois ? ».
Simone répond « Oh, à peine, quelques mois tout au plus. Et puis je ne faisais pas vraiment partie du journal, j’étais ce qu’on appelle un grouillot, un petit personnage sans importance qu’on envoie faire les courses et qui n’a ni son mot à dire ni son nez à mettre dans les affaires du journal. ».
Aussitôt elle embraye sur sa grande amitié avec Pierre Lazareff, le grand patron de…France Soir.
Si Luchère père a clairement sauvé la vie de Simone Signoret, Luchère fille lui a, dans son sillage, ouvert les portes du cinéma Français. C’est ainsi que pour arrondir une fin de mois parmi d’autres, elle se retrouve figurante en hennin sur le plateau des « Visiteurs du soir » où excellent Arletty, Alain Cuny, Marie Déa et surtout le fabuleux Jules Berry qui campe un diable plus diable que le diable lui-même.
Même s’il convient pour frôler au plus près la réalité de rappeler que Carné fut un employé du père de Simone et qu’ils se connaissaient.
Avec son premier cachet de comédienne, elle réfléchit à ce qu’elle allait s’offrir et la réflexion fut courte : une eau de toilette de chez Guerlain, son rêve. Ce prestigieux caprice engloutit tout son pécule mais Simone resta fidèle à la fragrance toute sa vie, ne supportant d’ailleurs pas que « ses hommes » portent un parfum plus puissant que le sien, ce qui troublait son plaisir. Ils étaient priés de se contenter de savon.
Déjà piquée de politique et de littérature, Simone se pique de cinéma et de théâtre.
Elle est de celles qui hantent, déjà, le café de Flore.
Elle se souviendra toute sa vie avec émotion de ses débuts dans le chef d’œuvre de Marcel Carné, et en particulier de la gentillesse d’Arletty à son égard.
Simone va même, toute émue lui présenter son petit ami comédien : Daniel Gélin.
Arletty intègre Simone à son cercle d’intimes et la reçoit régulièrement chez elle quai de Conti.
Comme pour Luchaire, la jeune comédienne va s’inquiéter pour Arletty à la libération. La liaison de l’actrice avec un officier Allemand est de notoriété publique. L’inoubliable madame Raymonde de l’hôtel du Nord court maintenant de grands dangers.
Simone lui propose de faire comme elle et d’intégrer les rangs de la résistance, Arletty refuse.
Les deux actrices sont sur scène dans « Voulez-vous jouer avec Moâ ? » et Arletty est conspuée par les spectateurs.
A la fin de la pièce, Arletty s’avance « La pièce que nous avons eu le courage de jouer devant vous ce soir… »
Simone prétendra avoir eu maille à partir avec les agitateurs pour défendre Arletty. Celle-ci prétendra qu’en fait, Simone était à l’origine de la cabale menée contre elle.
Arletty se souvenait également qu’un jour la jeune Simone était arrivée haletante chez elle, la suppliant de ne pas sortir car « ils l’attendaient pour lui faire la peau ». L’actrice eut selon ses dires l’impression « qu’elle jouait un rôle, fort mal d’ailleurs, histoire de se faire bien voir ». Elle n’en crut pas un mot, sortit sans tenir compte des suppliques de Simone Signoret et n’eut absolument aucun ennui.
Elle gardera une rancune vivace à Simone pour le reste de sa vie.
Le rapport entre ces deux-là restera particulier malgré le temps passant. Un jour, lors d’une interview, Simone Signoret déclare : « Oui j’étais dans la figu sur le film de Carné. Mais je n’en avais rien à fiche du cinéma. Ce que je voyais c’était trois mois loin de la guerre à bouffer normalement. Mais quand Arletty jouait, alors là pardon ! C’était magique ! On ne pensait plus à bouffer. En tout cas moi. C’est elle qui m’a fait comprendre ce que c’était et m’a donné envie d’en faire, moi aussi. D’ailleurs je sais que j’ai gardé certaines de ses intonations. Mais c’est à elle que je devrais le dire. Pas à vous. »
Elle ne lui dira bien entendu strictement rien du tout.
Simone, séparée du très volage Daniel Gélin va faire une rencontre décisive : celle du jeune metteur en scène Yves Allégret en 1943. Ils attendront le retour de temps plus sereins pour se marier. D’ailleurs Allégret est alors déjà marié.
Un premier grand amour marqué du sceau de la fatalité la plus noire.
En 1944, dans un Paris privé de tout, Simone met au monde un petit garçon.
Il mourra de froid, à la maternité durant le terrible hiver de cette année-là.
Simone en sera dévastée.
La blessure ne se refermera jamais. Bien des années plus tard elle aimera se faire diriger au cinéma par de jeunes metteurs en scène qui lui évoqueront le souvenir du fils qu’elle n’aura jamais vu grandir et elle les chouchoutera comme une mère poule.
Lorsque le couple Allégret se marie enfin, en 1948, ils auront déjà leur fille.
La future actrice Catherine Allégret née en Avril 1946.
Mais pour l’heure, Yves invente son cinéma autour de sa femme. Il tourne des films dont elle est l’héroïne, des films magnifiques qui entreront dans la légende du cinéma français. Simone y est toujours une garce vulgaire et sans scrupules.
Allégret a eu toutes les peines du monde à imposer Simone aux producteurs de « Macadam ». Après un nombre invraisemblable d’auditions, il ne reste encore pas moins de dix comédiennes envisagées. Puis deux avant que Simone ne décroche enfin le rôle. La perdante lui envoie une télégramme « Chère Simone, bien sûr je suis peinée de ne pas avoir le rôle mais je suis heureuse que ce soit toi » Signé Martine Carol.
La gentillesse de Martine à l’égard de Simone ne connaîtra pas la réciprocité, loin s’en faut.
Après « Macadam » et pour toujours, ses personnages sentiront le drame, le cornet de frites et l’hôtel de passe.
Le caviar et les visons ne sont pas faits pour elle, son genre est ailleurs, dans la cuisine ou sur le trottoir.
Définitivement.
De Macadam à Dédée d’Anvers, de Casque d’Or à Manèges, Simone Signoret sera une garce d’envergure, professionnelle ou non.
Simone déclarera « Quand j’ai commencé à tenir de vrais rôles, je m’effrayais moi-même. Je ne pensais plus qu’à ça, j’étais « dedans » tout le temps ! Incapable de lire un livre, aller voir un film ou parler d’autre chose. Ça me terrifiait jusqu’au jour où j’ai compris que mon métier c’était ça. M’oublier au profit d’une autre. Complètement. »
Lorsque le couple Allégret se marie, ses heures sont déjà comptées.
Simone Signoret va rencontrer l’homme de sa vie. L’amour avec un grand A, celui qu’elle ne quittera jamais jusqu’à ce que la mort les sépare : Yves Montand.
Mais en attendant, Simone l’ignore mais son destin se noue et se dénoue avec celui d’Yves Montand sans qu’elle n’en sache rien. Montand non plus. Jacques Prévert prépare « Les portes de la nuit » pour le couple Marlène Dietrich Jean Gabin. Mais Marlène Dietrich ne croit pas au film. Elle abandonne le projet et embarque Gabin avec elle. Carné est fou furieux « Cette conne qui a passé la guerre à Beverly Hills, qu’est-ce qu’elle sait de l’occupation ? » Prévert qui est un admirateur assidu de Simone Signoret insiste auprès de Carné pour qu’il l’engage pour remplacer Marlène. Pour remplacer Gabin, un certain Yves Montand est déjà choisi.
Mais Carné ne veut rien entendre.
Remplacer Marlène n’est pas suffisant. Il veut lui lancer une rivale dans les pattes. Une nouvelle Marlène plus jeune, plus belle et française.
Têtu comme une mule qui a fini de boire, il jette son dévolu sur la pauvre Nathalie Nattier, croyant qu’il suffit d’épiler les sourcils de n’importe quelle jolie fille aux maxillaires anguleux pour avoir une Marlène Dietrich.
La pauvre Nathalie sera catastrophique dans un rôle taillé sur mesures pour Dietrich.
Signoret et Montand ne se rencontreront pas sur le film.
Le film sera un four.
La pauvre Nathalie sera étrillée, la presse jurant que sa carrière était « finie avant d’avoir commencé ».
Prévert gardera une rancœur tenance à Carné, aimant à rappeler que « De toute façon, ce petit gros ne connaît rien au cinéma. Déjà pour Hôtel du Nord il ne voulait pas de Louis Jouvet et d’Arletty, il ne savait même pas qui c’était ! »
Simone et Yves se rencontreront donc plus tard, en 1949. Ils se marient en 1951 à Saint Paul de Vence.
Simone se souviendra toute sa vie que ce jour là, deux colombes entrèrent par la fenêtre dans la salle du repas de noces et virent se poser sur son épaule, ce que ces craintives bestioles ne font pourtant jamais.
Elle considéra la chose comme un merveilleux présage de bonheur.
Dans la foulée elle rayera de sa mémoire sa vie d’avant Montand et ne parlera strictement jamais d’Allégret, même pas à sa fille.
« A croire que j’étais née de l’immaculée conception » aimera t'elle à plaisanter plus tard.
Simone vit les plus belles heures de sa vie. Elle n’imagine pas que l’on puisse être plus heureux qu’elle et déclare : « Je peux reprendre à mon compte ce mot de Picasso : Lorsque le matin je prends mon bain et que je ne fonds pas comme une savonnette, déjà je m’émerveille, tout m’est bonheur dans la vie ».
Elle est une actrice célèbre au talent respecté. Lauréate du prix Suzanne Bianchetti en 1947, elle vient de tourner « La Ronde » de Max Ophuls où elle donnait la réplique au plus prestigieux des acteurs Français : Gérard Philipe.
Le couple Signoret-Montand ne partira pas en voyage de noces et se contentera de rester à Saint Paul, à la Colombe d’Or, pour profiter du soleil dans un doux farniente.
Ils s’y achèteront d’ailleurs une maison, Saint Paul devenant leur éternel refuge d’amoureux.
D’ailleurs Simone déteste se déplacer. Elle déclarait volontiers « j’adore Paris et au-delà de ses portes pour moi c’est l’exil ». Elle eut durant des années une peur panique de l’avion et ne conduisit jamais aucune voiture de sa vie, pas même dans un film.
Mais pour l’heure, Simone a signé pour être « Casque d’Or » de Jacques Becker. Ses obligations la rappellent à Paris. Un film qu’elle avait d’ailleurs refusé. Elle n’avait aucune envie de quitter Montand. Becker aura alors un trait de génie. Profitant de l’avoir au téléphone sous un prétexte quelconque, il lui glisse sa décision d’engager Martine Carol pour le rôle.
Et ça, il n’en était pas question ! Simone ferait Casque d’or !
Le cœur déchiré, elle se rend à la gare, sa valise en main et… Regarde son train s’éloigner vers Paris… Sans elle. Un jour, un jour encore, un jour de volé pour être avec Yves, elle partira demain.
A la fin de sa vie, elle se souviendra encore le cœur bouleversé de la merveilleuse sensation de liberté qui s’empara d’elle lorsqu’elle vit le train s’éloigner.
Simone tourne donc Casque d’Or, son premier personnage non pas historique, mais « réel », là encore, c’est une prostituée.
Le film est un chef d’œuvre total et absolu.
Un des plus beaux films français de tous les temps, mais à sa sortie, l’échec est total. Un four intersidéral.
La France de 1950 se souvient peut-être encore trop bien des séances de rasage de crâne de la libération pour aimer une prostituée, fût-elle Simone Signoret. Elle est donc une actrice au talent incontesté mais qui ne fait pas recette.
Et elle s’en fout !
Son premier métier, son véritable sacerdoce, c’est d’abord et avant tout d’aimer Montand.
Le couple s’est installé place Dauphine, dans un appartement qu’ils ont rebaptisé « la roulotte ». Ils ont aussi une propriété dans l’Eure. Une grande maison blanche au milieu d’un parc avec piscine, le tout a un coté très « Beverly Hills » français. A la différence près que les grilles de la propriété ne sont jamais fermées et que les gamins du village peuvent aller et venir et profiter de la piscine tant qu’ils veulent.
Simone qui déclare volontiers n’avoir aucun goût de luxe meuble ses différentes demeures avec une certaine élégance et de magnifiques antiquités. Elle se cherche « un petit Renoir » pour sa chambre. Lorsqu’un antiquaire l’ayant reconnue lui demande un prix mirobolant pour une petite babiole, elle paye sans sourciller.
« Les gens croient que je gagne des millions, ça les fait rêver, je ne vais pas les décevoir pour si peu ! »
La petite Catherine Allégret vit avec le couple Montand Signoret et l’actrice reconnaît volontiers que Montand est un véritable papa gâteau pour Catherine alors qu’elle est une maman un peu médiocre. « Quoi que les autres actrices puissent raconter, on ne peut pas être une bonne maman et être actrice. On ne conduit pas ses enfants à l’école pour la bonne raison qu’à cette heure là on est déjà au studio depuis belle lurette. Et quand on tourne de nuit, on dort le plus tard possible . Alors dans quelle mesure ais-je été une mère quand je tournais à des milliers de kilomètres de mon enfant des semaines durant ? D’ailleurs quand je tourne, ma vie de femme, d’épouse et de mère est en suspens. Alors quand c’est possible, Yves emmène Catherine dans le midi ou en vacances dans sa famille italienne. Dès sa naissance je me suis jurée que ma fille ne serait jamais un objet publicitaire. Elle avait 16 ans quand une photo d’elle est parue pour la première fois dans la presse. Et encore ! Parce que le photographe m’a abusée ! »
Montand prend sa carrière beaucoup plus au sérieux que sa femme. Il a une revanche à prendre sur ses origines plus que modestes de petit émigré juif italien ayant grandi dans la misère la plus noire et connu des débuts difficiles. Son père avait quitté l’Italie et sa misère pour devenir docker à Marseille ce qui ne valait pas beaucoup mieux.
Si Simone est avant tout une amoureuse idéaliste, les trompettes de la renommée et les coffres bien remplis ne sont pas pour déplaire à Yves Montand. Il travaille sans relâche, se perfectionnant sans cesse, sa femme conseille mais surtout admire.
« Les gens s’imaginent volontiers que je suis l’intellectuelle sur l’épaule de laquelle Montand vient se reposer, se cultiver et demander conseil. Sans doute parce que je parle anglais et pas lui et que je suis fille d’avocat et qu’il est issu de la plus basse des classes. Mais tout ça c’est faux. Montand est un géant dans son domaine. Je lui donne mes avis mais pas de conseils. Dans notre couple, l’homme c’est pleinement lui et j’apprends sans cesse à ses côtés. Il m’a ouvert à la connaissance de mondes dont j’ignorais jusqu’à l’existence. »
Entre deux tournages, il se lance dans le tour de chant et après des débuts cahoteux sous l’égide d’Edith Piaf, il finit par triompher aussi sur scène. Simone est toujours là, dans la salle ou en coulisses, morte de trac pour son Yves.
Elle tourne moins, exigeant des cachets mirobolants pour décourager la plupart des producteurs et rester ainsi sans scrupules dans l’ombre chaleureuse de l’homme qu’elle aime.
Ils se sont toqués de l’œuvre d’Arthur Miller : « Les Sorcières de Salem » et ont fait de la pièce un triomphe, le public se précipite pour les voir sur scène. Dans la foulée, ils s’attaqueront à la version cinématographique qui n’est pas la meilleure chose qu’ils aient faite.
Et puis tout va basculer, le couple Signoret-Montand va entrer dans l’œil du cyclone.
Tout commence par un coup de téléphone à cinq heures du matin, un appel d’Hollywood. Simone qui a décroché estime que cela ne se fait pas et a envoyé promener son interlocuteur plutôt vertement.
Hollywood veut Yves Montand !
Amoureuse, jalouse et possessive, Simone ne voit pas la chose d’un bon œil.
Depuis « les Sorcières de Salem », ils sont restés liés avec Arthur Miller, celui-ci est l’époux de la très médiatisée Marilyn Monroe. Or, la blonde numéro un du box office vient de commencer un film avec Gregory Peck : « Let’s make love ». Mais peu sensible au charme de Marilyn, le beau Greg a rendu son tablier après quelques jours de tournage, incapable de supporter les caprices de star névrosée de sa partenaire.
Le tournage est en plan, Marilyn qui a un droit de regard sur ses partenaires décrète qu’elle veut « cet acteur Français qui a joué la pièce de son mari, un certain Yves Montand qu’elle désigne comme « La chose la plus sexy du monde ! » Les caprices de Marilyn sont très momentanément des ordres, la Century Fox fait un pont d’or à Yves Montand.
L’orgueil italien de l’acteur est flatté, la proposition financière difficile à refuser.
Simone argumente contre ce projet, craignant surtout l’inévitable publicité tapageuse qui va suivre.
Publicité dont ils se sont toujours gardés, faisant de leur image de couple uni leur image de marque.
Et puis après tout, lorsqu’on est une épouse sensée, jette t'on son mari adoré dans les bras de la plus belle femme du monde, fût-ce pour raisons professionnelles ?
Simone est l’antithèse de Marilyn, elle a été très belle, mais cette beauté n’a jamais été ni spectaculaire ni tapageuse, aujourd’hui elle s’épaissit et s’en va peu à peu, et Simone s’en fout bien. Mais de là à se sentir en sécurité face à Marilyn…
De toutes manières, Montand a d’autres engagements à respecter avant de penser à Hollywood. Il travaille d’arrache pied à son nouveau tour de chant et répète sans arrêt.
Simone est là, dans un coin, qui commente, critique et conseille, comme à son habitude. Mais Montand a changé, il n’est plus le débutant gauche et maladroit aux grandes oreilles et à l’accent chantant, il est un acteur qu’Hollywood s’arrache ! Celui que Marilyn veut !
Il fait donc remarquer plutôt vertement à sa femme qu’elle ferait mieux de s’occuper de ses fesses et de se trouver du boulot avant d’être une has been complète et de se retrouver un beau matin à sa charge ! Elle n’est plus en position de conseiller monsieur Montand !
Percutée dans son orgueil et son amour propre, elle posa son tricot, se leva, prit le téléphone et Montand entendit simplement : « Finalement, je veux bien faire ce film, mais pour un million de plus ! » Elle reposa le combiné, reprit sa place et son tricot et dit seulement « Voilà ! ». Le lendemain, le cœur déchiré, Simone partait pour Londres tourner « Room at the Top », un petit film sans envergure avec Laurence Harvey dans le rôle principal.
Elle aussi, après tout recevait des offres alléchantes de l’étranger !
Elle tourna le film en somnambule, dans un état second, physiquement sur le tournage à Londres, la tête et le cœur à Paris où Yves Montand peaufinait son tour de chant. Elle fut sublime, ahurissante de beauté, de justesse et de talent, une actrice en état de grâce.
Dès la dernière prise de vues, elle regagna ses pénates français, retrouva son rôle préféré d’égérie inconditionnelle dans l’ombre d’Yves Montand.
Lui aussi se préparait à jouer une partie risquée.
Il avait reçu une offre pour se produire en URSS et l’avait acceptée.
Il allait jouer dans toutes les grandes villes soviétiques pour un public qui ne comprendrait pas un seul mot de ses chansons.
Simone, bien sûr l’accompagnait et était aussi malade de trac que de froid.
Le spectacle fut un succès jusqu’aux confins de la toundra, mais les employeurs suivants d’Yves Montand n’appréciaient pas la blague !
En pleine guerre froide, La Century Fox venait de signer un contrat à un acteur Français qui se produisait chez les communistes, et ce à la demande de Marilyn Monroe qui leur empoisonnait la vie depuis des années et elle-même mariée à un écrivain aux opinions dissidentes clairement affichées tout en haut de la fameuse liste noire du sénateur McCarthy ! Il s’en fallut de peu pour que le contrat fût rompu, mais un élément imprévu vint modifier la donne.
Le petit film alimentaire tourné en Angleterre battait tous les records de recettes.
Simone rafle à sa grande sidération l’oscar anglais. Puis ce fut le festival de Cannes et le prix d’interprétation. Montand est à son bras, il sourit, il écume de rage.
La carrière de Simone gagne en prestige, il se sent à la traîne, l’orgueil italien s’accommode mal du rôle de prince consort. Et ce soir-là, c’est bien ce qu’il est.
Pourtant Simone n’a jamais été aussi fragile qu’à ce moment-là. Son petit frère Alain est mort noyé quelques jours plus tôt en tournant un reportage sur un sauvetage en mer. Le festival qui consacre Simone rend un hommage posthume à son frère et diffuse les images qu’il a tournées avant son accident fatal.
Le film triomphe partout. Partout sauf…En France ! Mieux encore, Simone Signoret est nommée pour l’Oscar de la meilleure actrice à Hollywood et le public français ne daigne pas voir le film. Elle avait déjà été couronnée en Angleterre, elle l’avait été à Cannes…Hollywood suivait.
Dès que cette nomination fut officielle, Simone devint la femme la plus importante des Etats-Unis sur un pied d’égalité avec Jackie Kennedy ! Yves Montand débarqua donc à Hollywood flanqué de cette illustre épouse dont le prestige instantané avait d’un coup, une fois de plus, piétiné le sien et celui de sa future partenaire Marilyn.
Pour les Américains, une actrice nommée à l’Oscar est le personnage le plus important qui soit, et ce jusqu’au jour de la victoire (ou de la défaite, finalement, peu importe.)
On se mit donc au travail : le couple Montand Signoret s’installa dans un bungalow du Beverly Hills hôtel voisin de celui du couple Monroe Miller. On devint amis, Montand cuisina des spaghettis, on discuta politique et scénario jusqu’à l’aube, Marilyn fut très capricieuse mais se toqua littéralement du couple Français. Miller et Simone confrontèrent leurs brillants esprits, Marilyn et Montand étaient parfois un peu exclus de ces brillantes joutes verbales.
Le tournage commença, Marilyn fut relativement obéissante, à Yves Montand, pas à Georges Cukor.
Le film allait être vraiment très mauvais, le plus mauvais de tous ceux que Cukor a tournés.
Pour Simone, le soir de la cérémonie aussi redouté qu’attendu arriva. Marilyn ne fut pas invitée, l’académie des Oscar ayant décidé d’ignorer son existence jusqu’à la nuit des temps.
Rock Hudson décacheta l’enveloppe et annonça la gagnante avec un accent tel que Simone ne reconnut pas son nom.
« The winner is: Saymonee Saygnoray » Elle courut chercher sa récompense, embrassa Rock Hudson comme s’ils avaient grandi ensemble, remercia brièvement, mima l’actrice bouleversée pour faire bien plaisir à tout le monde et rejoignit Yves, plus fier qu’elle dans la salle, son précieux objet dans les bras.
Car Montand était bien plus fier qu’elle ! Lui, le petit fils d’émigrés italiens était à Hollywood, le nouveau « French Lover » du cinéma Américain, il était marié à la meilleure actrice du monde et plaisait à la plus belle. De quoi faire tourner la tête la mieux vissée !
La cérémonie des Oscars a ceci d’extraordinaire : Alors que l’Amérique entière vit à son heure des mois durant, dès le lendemain, c’est comme si rien ne c’était passé, que toute cette histoire n’avait jamais existé, et pour cause : un problème bien plus crucial se pose : Qui l’année prochaine ?
En attendant, Simone resta plus de quarante ans la seule actrice Française ayant eu droit à ce suprême honneur Américain. Jusqu’à ce que Marion Cotillard triomphe en 2008 pour son rôle de Piaf dans « la Môme ».
Les flonflons de la fête oubliés, la vie reprit : Marilyn et Miller continuèrent à se déchirer, Simone gagna l’Italie pour son film suivant, Montand téléphona à l’une et consola l’autre.
On put s’étonner encore aujourd’hui de la légèreté avec laquelle Simone Signoret s’envola pour Rome en laissant son Yves aux griffes acérées de Marilyn.
En réalité, Montand avait signé pour trois films : Let’s make love », « Ma Geisha » et « Sanctuaire ».
Après le tournage de « Let’s make Love » avec Marilyn il devait quitter Hollywood avec Simone pour des vacances à Saint Paul puis l’accompagner à Rome.
Hélas, les caprices de Marilyn retardèrent la fin du tournage de trois mois.
Simone arriva donc seule à Rome, nimbée de son prestige hollywoodien pour partager l’affiche de « Adua et ses compagnes » avec Emmanuelle Riva.
Une histoire somme toute banale : une maison clause fermée par ordre de police, et recyclée en restaurant avec ces dames aux fourneaux.
Emmanuelle Riva, actrice d’exception est, comme Simone Signoret réputée pour sa grande intelligence. Mais la confrontation des deux fut plus spectaculaire hors champ que devant les caméras. C’est que ces dames n’étaient pas non plus réputées d’un caractère facile. Simone n’avait clairement pas envie d’être là, et on peut la comprendre. Que lui importaient les déboires de cette maquerelle supplémentaire alors que son bonheur, sa vie entière se jouait en Amérique. Elle voulut se faire une alliée d’Emmanuelle Riva en critiquant ouvertement le producteur dont « elles devaient se méfier ! » Manque de pot, la Riva et le producteur en question étaient très amis. Emmanuelle répondit vertement, Simone ne se laissa pas faire, Magali Noël était prise entre deux feux et le tout faillit bien tourner en pugilat général.
Simone, il faut bien l’admettre, se sentit sur ce tournage comme prise au piège, sa vie se décidait loin d’elle et sans qu’elle ne puisse interférer sur son propre destin.
Une condamnée à mort de l’amour qui attend la sentence suprême en mimant la cuisson des spaghetti « al dente » dans un ancien bordel.
Elle affirma haut et fort à un journaliste ne sachant pas quoi faire de sa copie : « je suis la femme d’Yves Montand qui gagne suffisamment bien sa vie pour faire vivre son épouse comme tout homme doit le faire, je n’ai pas besoin de faire ça, dieu merci ! »
Ces dames ne s’adressèrent plus la parole en dehors de leur texte, et dès le tournage terminé, Simone claqua la porte sans une insulte de plus mais sans un regard, ce qui était pire. Ce tournage fut un véritable enfer émaillé de gros titres dans la presse où il n’était question que d’Yves et de Marilyn.
La lauréate de l’Oscar 1960 placée perdante à cent pour cent dans le chassé croisé amoureux où elle n’avait pas son mot à dire !
Marilyn affirma d’abord que Simone était sa meilleure amie et quant à elle, elle était une femme honnêtement mariée à un homme qu’elle aimait, que ces bruits qui couraient étaient absolument sans fondements et qui de plus est, déshonorants.
Puis, profitant de la même conférence de presse, elle avouait en minaudant que Montand était un amant formidable. Elle parla ensuite de double divorce et de mariage entre elle et Yves. Simone de son côté refusa tout commentaire, décrétant qu’elle s’expliquerait avec son mari dès son retour à la maison.
Simone n’alla pas l’attendre à l’aéroport au grand dam des journalistes qui ne s’étaient plus autant investis dans une « affaire » depuis l’accouchement de Brigitte Bardot.
Yves rentra en effet et l’épisode Marilyn fut oublié en un tour de main.
Du moins officiellement.
Simone Signoret, dévastée de chagrin, bafouée et la rage au cœur ne sera plus jamais, après l’épisode Marilyn la somptueuse créature de Casque d’Or. Il y aura, après la mort de son petit garçon, une seconde brisure dans la cuirasse de l’actrice intrépide. Et celle là ne se refermera jamais. Simone n’est plus sûre d’elle, plus sure de Montand, plus sûre de rien.
Sauf d’une chose :
Son irrésistible envie de boire.
A Hollywood, pour une fois, la blonde la plus seule et désespérée du monde eut le mot de la fin, laissant tomber tous ses artifices d’actrice accomplie, elle dit aux journalistes : « Et voilà, il est avec elle à Paris, ils doivent bien rire de moi, maintenant. ». Ce qui ne l’empêcha pas de faire des pieds et des mains pour être la partenaire de Montand dans « Sanctuaire ». Les manœuvres échouèrent, ce fut Lee Remick qui obtint le rôle et Montand fit avec ce film un autre four américain.
Simone et Marilyn ne se revirent jamais.
Marilyn avait accompagné Simone à l’aéroport pour son départ en Italie, elle lui avait donné son foulard de soie verte qu’elle portait dans « Bus Stop » et qu’elle considérait comme un talisman. Simone souhaita que ce foulard la suive dans la tombe.
« Je n’en ai jamais voulu à cette pauvre Marilyn ! Lui en vouloir pour quoi ? Parce qu’elle était amoureuse d’Yves Montand ? La belle affaire ! Moi aussi je suis amoureuse d’Yves Montand ! » Puis elle ajoutait « Quand j’ai laissé Yves à Hollywood, je savais très bien ce qui allait arriver ! Je le laissais seul avec la plus belle femme du monde qui était follement amoureuse de lui ! Yves et moi sommes mariés depuis plus de dix ans ! Nous ne dansons plus sur le volcan de la folle passion, ces choses là passent et dieu merci laissent place à des choses bien plus solides et importantes que l’attirance physique ».
Dans la réalité plus prosaïque des faits, elle avait vraiment été blessée et s’était sentie bafouée dans sa dignité de femme comme dans sa réputation d’artiste. Un journaliste avait été jusqu’à dire « Simone Signoret est merveilleuse elle réussit à rendre intéressants les vingt kilos supplémentaires qu’elle prend chaque année ».
Ce en la comparant bien entendu à sa rivale hollywoodienne.
Elle avait, comme elle le dira plus tard, décidé de quitter Montand. « Je ne voulais plus le revoir et j’avais décidé de couper les ponts. Mais je ne voulais pas d’une scène de ménage ridicule. Alors je suis allée un soir au music-hall où il se produisait. J’avais décidé de lui faire mes adieux après son tour de chant et lui annoncer qu’il ne me retrouverait pas à la maison en rentrant. Mais je me suis faufilée dans la salle, j’ai revu son spectacle que j’avais déjà vu des dizaines de fois. Il ne m’a fallu que quelques minutes pour être subjuguée, conquise et savoir que je ne pourrais jamais me passer de lui. C’est un homme sensationnel, il n’a pas son pareil et mérite qu’on l’accepte tel qu’il est. Alors je suis rentrée dare-dare défaire mes valises et l’attendre gentiment au coin du feu. »
Un autre soir qu’elle assiste au spectacle d’Yves Montand, certains agitateurs n’ayant pas digéré la tournée en URSS lancent une grenade lacrymogène sur la scène au moment de l’entrée en scène d’Yves Montand. Le fantaisiste terrifié prend ses jambes à son cou mais Simone l’intercepte au passage « Qu’est-ce que tu fais ? Tu te débines ? Et puis quoi encore ? Retournes y immédiatement ! Montre à ces imbéciles que tu n’as pas peur ! Pas peur d’eux ! Peur de rien ! » et de le pousser sous les projecteurs et dans la fumée ! Il semble que Montand ait préféré ce soir là affronter un attentat plutôt que sa femme !
Simone aussi, à l’automne 1962, remontait sur scène. Elle avait longtemps cherché la pièce qui lui conviendrait, son choix s’étant finalement porté sur « Little Foxes », une vieille lune portée en son temps à l’écran avec Bette Davis. Simone chercha ensuite le partenaire idéal.
Claude Dauphin qui avait été son souteneur dans « Casque d’or » n’avait plus retrouvé la place qui était la sienne avant-guerre et s’était exilé aux USA où il menait une carrière honorable mais sans panache entre télévision et théâtre.
Simone ne songeait guère à lui, mais par contre, Madeleine Robinson l’avait supplié et convaincu de lui donner la réplique dans une reprise de « mademoiselle Julie » pour 20 représentations exceptionnelles. Ce fut un tel triomphe que la pièce déménagea pour un théâtre plus spacieux, le Sarah Bernhard, pour tout le reste de la saison.
Simone se souvint donc subitement de son souteneur belle époque et lui proposa « Little Foxes ». Malheureusement, Ingrid Bergman lui proposa « Hedda Gabler » et Claude Dauphin n’hésita pas un seul instant. Ce fut la suédoise et un nouveau triomphe qui allait rendre à Claude dauphin la place qui lui revenait de droit en haut des affiches. Simone se « contenta » de Raymond Pellegrin et d’un succès plutôt mitigé. Montand payant fort de sa personne pour clamer dans toutes les gazettes à quel point la prestation de Simone était sensationnelle.
Simone Signoret avait tourné un film à Hollywood. Elle y était restée une très grande star, la « french actress with her Oscar ». Elle avait même travaillé pour la télévision et raflé un Emmy Award. Son film, « Ship of Fools » un excellent film de Stanley Kramer où elle partageait l’affiche avec Vivien Leigh, l’éternelle Scarlett de « Autant en Emporte le Vent ».. Mal distribuée dans un rôle nébuleux de passionaria mondaine et toxicomane, Simone n’y est pas très brillante. Vivien par contre y est phénoménale et y flanque une trempe d’enfer à Lee Marvin. Pourtant l’actrice dont c’est le dernier film se mourrait de tuberculose avec l’élégance pathétique d’une rose qui se fane sur la tombe d’un enfant. Et qui de plus est, longtemps après que la tuberculose n’ait plus tué personne !
Mais Vivien estimait sans doute que cette mort lui allait bien.
Durant le tournage, elle donnait, le soir venu de somptueux dîners où elle conviait Simone, la prenant affectueusement sous le bras pour lui dire : « Venez, nous pourrons enfin parler entre gens civilisés lorsque les autres seront partis ! ». Et lorsque les autres étaient « enfin partis », Vivien faisait la conversation à.…Ses plantes vertes pendant que Simone faisait la vaisselle !
Cette prestation vaudra quand même à Simone une nouvelle nomination aux Oscar !
La folie de l’épisode Hollywoodien retombée et les choses rentrées dans l’ordre, le couple numéro un du cinéma Français regagna sa « roulotte » et y vécut des jours heureux à l’abri du scandale. Simone vieillissait, elle avait signé pour être (une fois de plus) une maquerelle mais qui cette fois s’appellerait « Bouboulina », serait vieille, laide et grosse. Elle commença le tournage, puis croisant son reflet dans un miroir se ravisa en disant : « Non, pas encore, pas maintenant, c’est trop tôt ! » Elle regagna Paris, redevint un peu jolie, se consacra davantage à sa carrière qu’à Yves Montand, affirmant d’ailleurs : « Yves Montand est très bien, mais moins bien que Bernard Blier, c’est lui mon acteur préféré ! »
Régulièrement elle fut à l’affiche de grands succès populaires mais aimait donner leur chance à des jeunes metteurs en scène (bien mal lui en prit parfois !)
Elle renonça à toute coquetterie et laissa faire au temps ce qu’il voulait de sa silhouette et de son visage.
Vaincue par ses deux compagnons que furent l’alcool et la cigarette, elle déclarait parfois « Qu’est-ce que je deviens moche ! Tant mieux ! Ça emmerde Montand ! »
Ou encore « Oui je joue une vieille plutôt tapée dans « Le chat » mais c’est un rôle magnifique et que je n’aurais pas pu tenir si j’avais bataillé pour garder la même tête que dans Casque d’or ! Vous imaginez le tableau ? »
Cette passionnée de théâtre adaptait elle-même des pièces anglaises qu’elle interprétait ensuite, comme « Les Petits Renards » ou « Des Milliers de Clowns ». Et tant qu’elle y était, poussa la crânerie jusqu’à jouer Shakespeare à Londres avec Alec Guinness. Elle prit cette fois là un camouflet d’envergure qu’elle n’avait pas volé. Signoret en lady Macbeth...quand même ! C’était pousser le bouchon un peu loin.
Les Burton Taylor s’étaient déplacés depuis Hollywood pour venir l’applaudir et ne firent aucun commentaire. Richard Burton essayait d’appâter sa célèbre épouse pour qu’elle s’entiche du rôle et accepte de le tenir à l’écran, toute à la fierté de succéder à Simone.
Il n’en fut plus jamais question.
Le temps continuant son implacable marche, il fut bientôt en effet, difficile de retrouver Dédée d’Anvers et Casque D’or sous les traits de la veuve Couderc.
Simone avait poussé l’audace jusqu’à jouer à 49 ans, une femme de plus de 70 dans « Le Chat ». Une audace que son physique lui permettait sans problème.
Avec le temps, le public français lui voua un respect et une admiration indéfectibles, la considérant sans contestation possible la plus grande actrice qu’ils n’aient jamais vue sur leurs écrans. On admirait même son courage d’actrice. Il en fallait pour se laisser vieillir ainsi au détriment de la beauté mais au profit de l’expression.
Cette idolâtrie eut un curieux effet sur l’actrice. En 1965 elle avait accepté un rôle assez court dans « Compartiment tueurs ». A la condition que son nom ne soit pas utilisé pour la publicité du film. Elle serait créditée au générique comme Eliane Darrès. Simone entendait prouver par-là que les noms de grandes vedettes n’attiraient plus le public comme autrefois et qu’il se déplaçait maintenant pour le film ou son réalisateur mais certainement pas pour les acteurs. Sur le coup, l’idée parut sensationnelle aux autres membres du casting. Sa fille Catherine Allégret deviendrait Benjamine Bombat, Montand sera Henri Grazziani et ainsi de suite. Simone Signoret dut se trouver ce jour là bien finaude et sans doute faisait elle un appel du pied aux cinéastes de la « Nouvelle vague » qui non seulement tiraient à boulets rouges sur les « grands noms du cinéma français » mais l’ignoraient superbement. La presse se gaussa fort de cette actrice sciant avec allégresse la branche sur laquelle elle était assise et l’on parla de « pari idiot ».
Simone insista.
Les célébrités, ça n’intéresse plus personne.
Ce qui en soi est en effet idiot puisque dans ce cas il n’y aurait plus de célébrités.
Un magazine lui fit savoir que ses ventes explosaient dès qu’il était question de Jackie Kennedy, de l’impératrice Soraya ou de la princesse Anne mais qu’en effet, les célébrités du cinéma comme elle semblaient bien connaitre leur chant du cygne.
Simone avala la couleuvre, ne changea pas d’idée pour ne pas s’avouer vaincue et la nouvelle vague se ficha complètement de ce « Pari idiot ». Un fin plaisantin proposa même à Simone Signoret de tenir son rôle avec des lunettes noires pour ne pas qu’on la reconnaisse.
Après deux énormes succès avec Alain Delon "La Veuve Couderc" et "Les Granges brûlées" Simone donna une nouvelle raison de se pâmer au monde du cinéma en devenant (une fois de plus) « Madame Rosa ». Une vieille pute rangée des voitures, rôle qui lui valut le César de la meilleure actrice. A juste titre, elle était phénoménale. Elle vint chercher son César au bras d’Yves Montand et mourut quelques temps plus tard, le même jour que Rock Hudson.
Elle souffrait depuis des années d’un cancer du pancréas et avait perdu complètement la vue. Elle avait tourné, aveugle, un dernier téléfilm « Music Hall ».
Elle fut inhumée au Père Lachaise à Paris, avec le foulard de Marilyn.
Simone Signoret et Yves Montand restèrent mariés jusqu’à ce que la mort les sépare.
Yves Montand, veuf, se remariera, et aura un enfant avant de rejoindre Simone dans la mort.
Après le décès de l’acteur, les langues se délièrent, il fallut exhumer ses restes pour des tests ADN à la faveur d’un procès (posthume comme toujours) de reconnaissance de paternité. Un procès que perdit la plaignante. Elle n’était pas la fille de Montand.
Catherine Allégret y alla de sa complainte, son fils Benjamin Castaldi se liant avec elle pour « révéler » les abus sexuels qu’Yves Montand avait fait subir à Catherine jeune fille. Mais tout ceci est une autre histoire où le sordide remplace le prestige.
Aujourd’hui, Simone Signoret et Yves Montand reposent côte à côte pour l’éternité, ils nous ont laissé des films magnifiques et c’est très bien ainsi.
Celine Colassin
QUE VOIR ?
1944 : Beatrice devant le Désir : les véritables débuts de Simone Signoret après l’apprentissage de la figuration.
1945 : La Boîte aux Rêves : Le film a pris au fil du temps plus d’importance qu’il n’en avait au départ. Sympathique « véhicule » pour Viviane Romance, il marque la première apparition de Gérard Philipe à l’écran et la rencontre de Simone avec Yves Allégret qui dirige le film.
1945: Les Démons de l’Aube : Cette fois, Simone s’offre un beau jeune premier à la mode : Georges Marchal…Du moins sur l’affiche, c’est Jacqueline Pierreux qui en profite à l’écran, Simone se contente de tenir le bistrot du coin !
1946 : Macadam : les vrais débuts de Simone Signoret vedette enfin confirmée.
1946 : Le Couple Idéal : Formé par Simone et Raymond Rouleau.
1947 : Fantômas : Ce n’est pas encore Jean Marais mais Marcel Herrand qui campe l’étrange personnage flaqué ici d’une fille, laquelle n’est autre que Simone.
1948 : Against the Wind (Guerriers dans l’Ombre) : Simone maîtrisant parfaitement l’Anglais s’envole pour Londres. Le temps de signer son contrat, la voilà revenue en Belgique où se tourne le film.
1948 : L’Impasse des Deux Anges : Simone, dirigée par Maurice Tourneur est une théâtreuse sans grande distinction qui retrouve son amour de jeunesse, Paul Meurisse, gangster en fuite qui préfère se faire descendre que de louper un pèlerinage avec sa belle à l’impasse des deux anges !
1948: Dédée d’Anvers : Un des films mythiques de la carrière de Simone Signoret. Du cinéma qui n’a pas pris une ride.
1949 : Manèges : Mon film préféré de Simone Signoret, un chef d’œuvre où tout est ahurissant ! Simone, vulgaire à souhait, Jane Marken mère et maquerelle parfaitement odieuse, Bernard Blier en cocu magnifique et confiant et des dialogues renversants
1949 : Suzanne et son Marin : Le titre original : « Swiss Tour » était bien plus rigolo je trouve. Josette Day, la « Belle » de Cocteau tient le rôle titre.
1950 : Casque d’Or : Un chef d’œuvre absolu, un film emblématique du cinéma français, un rôle phare dans la carrière de Simone Signoret.
1950: La Ronde : Ophuls remet Signoret sur le trottoir.
1950: Le Traqué : « Denise appartient à cette espèce de filles qui sacrifient jusqu’à leur amour et leur bonheur à la fidélité de l’homme traqué par la police » Ce texte alléchant était destiné à précipiter le public dans les cinémas
1950: Ombre et Lumière : Le film est destiné à faire pleurer Margo au. delà de toutes espérances ! L’idée de faire de Simone Signoret et Maria Casarès deux sœurs est quand même assez baroque en soi !
1953 : Thérèse Raquin : Encore un chef d’œuvre pour Simone Signoret qui est une Raquin plus vraie que nature. Enfin un film bien accueilli à sa sortie et qui comme tous les grands crus bonifie avec le temps. Le jour de la signature du contrat, Carné s’ébouriffe ! « Qu’est-ce que je lis dans la presse ? Vous partez aux sports d’hiver ? Vous êtes folle ? Vous voulez vous casser la figure avant de tourner mon film et mettre Thérèse Raquin dans le plâtre ? Vous n’irez pas ! Vous n’irez pas ou vous ne ferez pas le film ! » Simone, pour une fois s’inclina. Trois jours plus tard, à Saint Paul de Vence elle glissait d’un rocher pour une chute de trois mètres et se retrouvait hospitalisée.
1954 : Les Diaboliques : Un chef d’œuvre de Clouzot avec sa femme Vera sublime dans son rôle de victime fragile. Le film reste toujours aussi effrayant plus de 75 ans plus tard.
1956 : Les Sorcières de Salem : Le couple Montand Signoret avait porté au triomphe la pièce d’Arthur Miller. La version filmée est pourtant décevante, à un point tel que c’est la jeune Mylène Demongeot qui tire son épingle du jeu et reçut à l’époque tous les suffrages devant l’illustre couple.
1956: La Mort en ce Jardin La première apparition couleurs de Simone Signoret, blonde platine pour l’occasion !
1959 : Les Chemins de la Haute Ville : le film de la consécration majeure, l’Oscar de la meilleure actrice et le prix d’interprétation à Cannes dans un rôle de femme vieillissante et, n’ayons pas peur des mots : sublime.
1960 : Adua et ses Compagnes : Simone, Magali Noël et l’excellente et trop rare Emmanuelle Riva dans un film où elles s’aiment devant les caméras et se haïssaient en dehors.
1960: Les Mauvais Coups : Simone Signoret, star immense accepte un premier film : celui de François Leterrier. Ce film est, disons-le, une pure merveille, Simone y est bouleversante. Le scénario est, il faut le dire, signé Costa Gavras d’après un roman de Roger Vaillant. Ça aide !
1961 : Les Amour Célèbres : Simone est Jenny De Laclos, une coquette vieillissante qui rend aveugle son amant à grands coups de vitriol afin qu’il n’assiste pas à sa décrépitude.
1961: Le Verdict : Telle Marilyn, Simone s’offre Laurence Olivier en guise de partenaire et ne s’est pas répandue en confidences sur cet évènement.
1962 : Le Jour et L’Heure : Un Film magnifique avec Simone Signoret en résistante de la dernière heure embarquée dans le conflit (à bicyclette) pour les beaux yeux de Stuart Whitman. Geneviève Page est grandiose.
1963 : Dragées au Poivre : No comment.
1965 : Compartiment Tueurs : Un scénario de Sébastien Japrisot tiré à quatre épingles. Simone Signoret, nunuche romanesque et vieillissante à mi chemin entre la beauté fatale qui s’en va et la mémère à son chienchien qui arrive.
1965: La Nef des Fous : Simone un tantinet mal distribuée en passionaria révolutionnaire
1965: Paris Brûle t'il : Simone fait partie de la distribution fleuve de ce film, rare élément féminin de l’œuvre hormis Leslie Caron.
1966 : M15 Demande Protection : Simone Signoret est dirigée par Sidney Lumet dans un film qui n’a d’intérêt que sa prestigieuse distribution, James Mason en tête.
1967 : le Diable à Trois : je suis très fière d’avoir vu ce film très Hitchcockien avec une Simone Signoret très « lookée » et machiavélique à souhait
1967: La Mouette : Simone chez Tchekhov.
1969 : L’Américain : Il ne s’agit pas de steak tartare belge mais de Jean-Louis Trintignant de retour au bled après quinze ans passés en Amérique.
1969: L’Armée des Ombres : Film de guerre et surtout de résistance assez lent mais magnifique avec Serge Reggiani et Paul Meurisse.
1969: L’Aveu : Simone Signoret dirigée par Costa Gravas.
1970 : Le Chat : Gabin n’avait jamais travaillé avec Simone Signoret et réalise son rêve.
1970: Compte à Rebours : Malgré une distribution de choc, le film n’a pas imprégné les mémoires..
1971 : La Veuve Couderc : Enorme succès pour Simone Signoret et Alain Delon qui campent fidèlement les personnages imaginés par Simenon.
1973 : Rude Journée pour la Reine : J’adore le titre, le film est moins convainquant,
1974 : Les Granges Brûlées : Alain Delon, jeune juge d’instruction même l’enquête à Pontarlier.. Le film sera sélectionné pour représenter la France au festival de Bruxelles dont c’est la première édition.
1975 : La Chair de l’Orchidée : Simone Signoret et Edwige Feuillère dirigées par Patrice Chéreau.
1976 : Une Femme Dangereuse : Un film assez méconnu où Simone Signoret est dirigée par Patrice Chéreau et partage l’affiche avec Philippe Léotard.
1976 : Police Python 357 : Simone Signoret est comme d’habitude : excellente et très juste, mais Yves Montand pour une fois lui dame le pion.
1978 : Judith Therpauve : C’est le second film de Patrice Chéreau qui place Simone Signoret dans une lumière glauque, une histoire sans espoirs au milieu de personnages sans illusions, désabusés, alcooliques. Un vrai bonheur.
1979 : L’Adolescente : Simone Signoret mise en scène par Jeanne Moreau.
1979 : Chère Inconnue : Quel film sublime, Signoret et Rochefort sont magiques et Delphine Seyrig parfaite, c’est aussi la dernière apparition à l’écran de Madeleine Ozeray, « l’Ondine de la Semois » comme la désigne un ouvrage qui lui est consacré.
1982 : L’Etoile du Nord : Gros succès pour le film de Pierre Granier Deferre avec un Philippe Noiret en état de grâce et Fanny Cottençon qui fait ce qu’elle peut entre ses deux monstres sacrés.
1982 : Maupassant : Pour sa dernière apparition à l’écran, Simone Signoret incarne la mère de Maupassant pour Michel Drach,
LES FILMS QUE VOUS NE VERREZ PAS
(Avec Simone Signoret)
Mère Courage : Il ne s’agit pas cette fois d’un projet avorté mais bien d’un film que Simone avait commencé et qui resta inachevé.
Les portes de la nuit : Toute l’équipe, toute la production et Prévert en premier supplie Carné d’engager Simone pour le rôle de Malou après la défection de Marlène Dietrich. Peine perdue.
Term of Trial devait réunir Simone et Laurence Olivier devaient être partenaires. Simone se voyait bien dans le rôle de cette épouse dont le modeste instituteur qu’est son mari est accusé de viol par une de ses élèves. Le film verra le jour quelques années plus tard avec Jacques Brel et Emmanuelle Riva dans les rôles sous le titre « Les Risques du Métier ».
Barabbas : En 1960, Simone commence le film mais décrète qu’elle ne « sent pas le rôle »
Zorba le Grec : Simone Signoret avait commencé le film de Cacoyannis
Chéri : Tiré du roman éponyme de Colette, ce film devait se tourner après « La Nef des Fous » et faire de Simone Léa. Le projet n’aboutira pas. Du moins pas avant un bon demi-siècle, Michelle Pfeiffer prêtant finalement ses jolis ses traits à Léa. La chose avait déjà été tournée en 1950 avec Marcelle Chantal.
Les Vainqueurs : Sophia Loren devait être la « femme italienne » et Simone la « femme française ». Les rôles seront respectivement tenus par Rossana Schiaffino et Jeanne Moreau.
Les Sœurs Brontë : Simone Signoret avait signé pour le film, mais prise par les retards du film de Patrice Chéreau « la Chair de l’Orchidée », elle cède la place à…Alice Sapritch !
A la Recherche du Temps Perdu : En 1970, Luchino Visconti annonce son intention de réunir Simone à Brigitte Bardot dans l’univers de Marcel Proust.
Le Clair de Terre Simone adorait le projet et avait donné son accord en…1968. Lorsque Guy Gilles put enfin mettre son film en chantier, Simone n’était plus disponible.