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VERUSCHKA




Non contentes d'être des icones de mode, symbolisant l'idéal de beauté féminine absolu de leurs époques respectives, certains mannequins furent aussi de notoires étoiles filantes du cinéma. En préparant le portrait de Suzy Parker, je me prends à sourire en évoquant la tête de la directrice d'agence Eileen Ford. Lorsqu'elle vit Suzy pour la première fois. Elle fut horrifiée par sa grande taille "Une girafe désossée" commenta elle. Je pensais à la tête qu'elle a dû faire quelques années plus tard quand elle signa Veruschka, plafonnant à un mètre quatre vingt cinq et chaussant du quarante-six!

Vera von Lehndorf, ou (devrais je dire mademoiselle la comtesse Vera Gräfin von Lehndorff-Steinort?) naquit dans l'une des cent pièces du château familial de Königsberg le 14 Mai 1939. Ou plus exactement, elle naquit à Königsberg et on la ramena ensuite au château mais ceci n'est qu'un détail. Nous sommes en 1939, nous sommes en Prusse Orientale, c'est autrement plus inquiétant comme "détail".

Veruschka est deux fois comtesse puisque son père est le comte Heinrich Graf von  Lehndorff- Steinort et sa mère comtesse von Gottliebe Kalnein. Elle a également trois sœurs: Marie Eleanore la grande, Gabrièle et Katharina les deux petites.



Le père de Veruschka, né en 1909 n'a donc pas participé à la grande guerre de 14  et à l'avènement de celle de 1939 il n'est guère enthousiaste et encore moins convaincu par les discours populistes et tonitruants d'Adolph Hitler. Il a trop de culture et d'éducation pour marcher dans le jeu de dupe du dictateur qui pourtant galvanise les foules. Mais il est Allemand et surtout prussien. En Prusse on ne badine pas avec la guerre, l'honneur et le devoir.

S'il doit aller se battre, il ira se battre. C'est ainsi qu'il fait partie de la première offensive sur la Pologne. L'armée en profite pour réquisitionner le château, orgueil de la famille depuis plusieurs siècles et annexer les von Lehndorf dans quelques pièces. Heinrich von Lehndorf n'a jamais été, on l'a vu, convaincu par les théories nazies. Lorsqu'il assiste en Russie à un massacre de civils juifs, ce qui n'a rien à voir avec la guerre, l'écœurement est à son comble et il rejoint les rangs de la résistance allemande. Son but: débarrasser l'Allemagne d'Hitler le fou sanguinaire. Il fera partie de l'attentat manqué contre Hitler le 20 Juillet 1944. Il sera arrêté, condamné à mort et pendu le 4 Septembre, il avait 35 ans.

Son épouse et leurs quatre filles seront  arrêtées et déportées en camp de concentration, Vera a cinq ans et quatre mois.


A la fin de la guerre, la Prusse où se trouve le domaine familial de la famille est annexée par la Russie, aucun bien ne sera rendu à la famille qui va connaître une existence de sans abris dans une Allemagne vaincue et transformée en champ de ruines. La mère de Veruschka n'avait que 31 ans à l'heure de son arrestation. Qu'après la guerre et les camps elle ait réussi sans aucun moyen à survivre et faire vivre ses filles relève du prodige comme de l'héroïsme. D'autant que rien dans son éducation et dans sa vie passée ne l'ait préparée à affronter quelque adversité que ce soit. Elle était soudain confrontée au pire de ce que l'humanité était capable de produire comme horreur. Elles survivront, pourtant. Toutes les cinq. Plus tard l'aînée des filles épousera l'arrière petit fils de Richard Wagner. Veruschka, quant à elle sera enfin scolarisée raisonnablement, après avoir transité par 13 écoles différentes à Hambourg. Elle obtiendra d'aller étudier l'art à Florence et c'est là que tout va magnifiquement s'enchaîner.



Pour avoir été une petite fille prisonnière et fille de traître assassiné puis de héro tombé pour la liberté, Veruschka a des choses à dire et un besoin inextinguible de s'exprimer. Sa volonté d'aller de l'avant à la recherche incessante de la beauté force le respect avec un tel passé. Même dans sa famille.

Petite fille elle ne s'est pas plainte, à peine a-elle pleuré. Comme si elle avait enseveli ses années noires et ses mauvais souvenirs avec son père, elle se projette en avant dans une démarche artistique incessante et très pointue. Personne n'a alors compris et probablement pas elle-même qu'il s'agissait de fuir la réalité en se réfugiant dans l'imaginaire. Elle aura largement dépassé la trentaine lorsqu'elle osera regarder les démons du passé en face et sombrera dans une profonde dépression.



Etudiante en art à Florence, Veruschka qui on l'a vu a atteint des proportions physiques assez exceptionnelles et ne passe pas inaperçue. C'est le photographe Ugo Mulas qui la "repère" pour la première fois et lui demande de poser pour lui. Nous sommes en 1959, elle a 20 ans. Il la repère le plus simplement du monde, dans la rue, ses photos "de rue" sont déjà célèbres, elles sont sa signature artistique Ugo Mulas n'est pas un photographe de mode. Il est le photographe officiel de la biennale de Venise et du festival de Spoleto. Et bien entendu il connaît tout le monde. C'est lui qui va mettre le pied de Veruschka à l'étrier d'une carrière foudroyante et lui ouvrir le cercle de ses relations où se comptent par dizaines des artistes importants et reconnus comme le sculpteur Calder.


Très vite cette fille hors du commun impressionne et fascine. Ses proportions, bien sûr, mais aussi son visage sublime, ses longs cheveux blonds naturels, ses yeux gris pâle et cette souplesse de liane qui libère soudain la photo de mode du "posing" très étudié des années 50.

Veruschka ne sera pas un nouveau mannequin, elle sera un véritable bouleversement et l'égérie absolue de la décennie qui s'annonce.



Grâce à Ugo Mulas, elle signe avec l'agence Eileen Ford, s'installe à New-York mais déçue rentre à Munich.

Même pour l'univers très pointu et avant-gardiste qu'est, ou que devrait être la mode, Veruschka, c'est "un peu too much"  en ce début des années 60. Et puis de toute façon, les vêtements ne sont pas à sa taille. Elle est "inexploitable". Deux hommes vont changer la donne. Richard Avedon et  Yves Saint Laurent. Veruschka la fille dont on ne savait que faire devient en quelques mois la fille que l'on s'arrache. Au grand dam probablement d'Eileen Ford qui l'a laissée partir pour l'agence Stewart.

Il faudra moins d'un an à Veruschka pour devenir la fille ayant totalisé le plus de couvertures de magazines au monde.


Et lorsqu'en 1966 Michelangelo Antonioni tourne "Blow-Up" mettant en scène un photographe de mode, qui d'autre que Veruschka peut se faire photographier pour faire du personnage un professionnel de prestige? Veruschka de son côté déclare: "Jouer la comédie me plairait, je ne m'exprime pas suffisamment avec la photographie, l'image est figée et fixée dans le temps, je voudrais vivre et bouger devant l'objectif".



Elle va le faire en 1968. Au cours d'un reportage photo au Kenya où elle va faire exploser les ventes de Saint Laurent en faisant de sa veste de safari le must absolu de la saison avant d'en faire un indémodable toujours tendance un demi siècle plus tard.


En marge des photos de mode, Veruschka découvre le body painting. Le corps nu couvert de peintures tribales, animales ou végétales, Veruschka est sensationnelle, c'est un nouveau choc visuel, les photos font le tour du monde et le body painting devient un mode d'expression pour la génération hippie. Un mode d'expression dont Veruschka est et reste la grande prêtresse.

Le cinéma quant à lui après son court passage dans "Blow-Up" ne pouvait rester insensible au phénomène Veruschka la sublime, l'icône, la déesse, l'égérie.

Mais elle frôle toujours le mètre 90 en chaussures plates. Difficile de l'imaginer interrogée par le commissaire Maigret ou en fille de Louis de Funès. Les films doivent être à son image: hors normes. Des films de créateurs, des films avant-gardistes, des films psychédéliques, des happenings.  On en tourne, certes c'est l'époque qui veut ça mais on en tourne peu et Veruschka est une des seules personnes au monde à gagner 10.000$ par jour. Ca fait cher l'attraction.



Tournant un film de ci de là, n'hésitant pas à se raser la tête si on le lui demande, Veruschka reste une icône mondiale jusqu'en 1975. Les temps changent. Le monde évolue. A la stupéfaction générale de tous les cerveaux, le monde redécouvre la valeur bourgeoise et les préceptes religieux. La working girl n'est pas loin et la directrice du magazine VOGUE souhaite dorénavant voir une Veruschka embourgeoisée. Tétanisée par le spectre du tailleur Chanel qui lui aussi prépare son retour en force, Veruschka n'aurait eu qu'un seul mot si elle n'avait pas eu une éducation de baronne: "MERDE!"

Veruschka se retire alors qu'elle est toujours le mannequin le plus sollicité et le mieux payé du monde, ce qui en dix ans de travail incessant a fait d'elle une femme richissime. Elle se consacre alors à son art, le body painting qu'elle pousse au sommet de l'ingéniosité.




Veruschka à près de 90 ans est restée aussi sublime qu'aux heures les plus brillantes de sa gloire. Même si la jeunesse s'en est allée, la classe et le prestige son restés. Parfois, légende vivante elle revient hanter quelque défilé de jeune créateur.

Le reste du temps elle se consacre à son art et se met en scène elle-même dans ses troublantes compositions; devenant dandy des années folles, lévrier afghan ou statue oubliée et dévorée de lierre.

Alors Veruschka a vingt ans. Pour toujours.

Celine Colassin



QUE VOIR?

1966: Bow-Up: Avec David Hemmings

1971: Veruschka

1978: Couleur Chair: Avec Dennis Hopper, Jorge Donn et Bianca Jagger

1985: The Bride: Avec Jennifer Beals et Sting

1989: L'Orchestre Rouge: Avec Claude Brasseur et Dominique Labourier

2006: Casino Royale: Avec Eva Green et Daniel Craig

 

 

 

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